Edward Snowden : comprendre la question de la sécurité au-delà du personnage

Le Wired publie ce mois-ci une entrevue de fond avec Edward Snowden. Cette importante entrevue apporte dans son sillage une série de réflexions sur la sécurité et la surveillance. Voici le fruit de ma réflexion sur le sujet.

C’est une entrevue exceptionnelle qu’a réalisée le journaliste James Bamford avec Edward Snowden, l’ancien analyste de la National Security Agency (NSA), responsable de la plus grande fuite de renseignement qui s’est produite aux États-Unis. Cette fuite est historique non seulement de par sa portée, mais aussi de par ses conséquences.

«Mon nom est Edward Snowden. Auparavant, je travaillais pour le gouvernement. Maintenant, je travaille pour le public.» Cette déclaration toute simple est lourde de sens : elle place le gouvernement en porte-à-faux par rapport aux citoyens.

En effet, cela a non seulement déstabilisé l’ensemble de l’appareil de renseignement des États-Unis, voire ailleurs dans le monde, mais cela a aussi permis aux citoyens américains de prendre conscience de la puissance réelle de la surveillance de ces mêmes services.

D’une portée jusqu’alors difficile à mesurer, il appert que les moyens gouvernementaux en matière de surveillance sont vastes; une machine bien huilée capable de fouiller dans les entrailles de la vie privée de bien des gens.

D’ailleurs, pour en connaître plus sur les programmes de surveillance exploités par le gouvernement des États-Unis, je vous invite à voir cette série de deux reportages sur les révélations de Snowden et tout ce qui oscille autour de ces divulgations. Ce n’est pas moins que sidérant.

Comprendre le raisonnement d’un lanceur d’alerte

En quelques semaines, Edward Snowden est devenu à la fois un criminel et un héros. Alors qu’il faisait couler révélation sur révélation, l’homme est passé de statut d’agent social, à celui de symbole. C’est probablement d’ailleurs ce qui le protège le plus. Son action dépasse ce qu’il était et ce qu’il est : il est s’est littéralement transformé en un véritable «concept» incarnant ainsi plus une idée qu’une personne. Peu importe le reste de son existence, il survivra dans l’imaginaire collectif d’une bonne partie de la population.

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De manière maladroite et grossière, certains diront qu’il adopte la méthodologie du terrorisme suicidaire. À leurs yeux, Snowden «transcende» son existence pour une chose qui va au-delà de son être, et il démontre qu’il est prêt à se détruire afin de faire avancer la cause. Si cette assertion est injurieuse à plusieurs niveaux, il n’en demeure pas moins que c’est aussi, un peu, le statut qu’aura atteint Oussama ben Laden. Même si le personnage est mort, son idée, le «concept Ben Laden» demeure vivant. Là s’arrête la comparaison, car les fins des deux individus sont totalement différentes.

Par contre, peu importe ce que ses détracteurs peuvent dire, Snowden n’a pas joué la carte du revendicateur vindicatif. Il demeure relativement posé dans ses propos et cherche beaucoup plus à soulever le débat sur le rôle fondamental des technologies de l’information dans la conduite des affaires sociales. Le fait que les technologies soient désormais si importantes dans le quotidien des individus pousse à la réflexion, principalement quand celles-ci peuvent être instrumentalisées de manière à régulariser les comportements sociaux.

La nouvelle dichotomie du gouvernement et du citoyen

Dans l’enregistrement audio que le Wired a transformé en vidéo, Snowden se présente ainsi : «Mon nom est Edward Snowden. Auparavant, je travaillais pour le gouvernement. Maintenant, je travaille pour le public.» Cette déclaration toute simple est cependant lourde de sens. En effet, elle place le gouvernement en porte-à-faux par rapport aux citoyens.

Ce que cela sous-tend, c’est que le travail du «gardien», celui qui protège l’intérêt national, n’est dorénavant plus un travail prenant en considération l’intérêt du citoyen.

Évidemment, c’est une interprétation, et cela est extrapolé à partir de la pensée de Snowden. N’empêche que les innombrables révélations faites sur ce qui se passe au sein de la NSA semblent vouloir effectivement donner en partie raison à cette ligne de pensée. Le citoyen ne semble plus être «l’objet» à protéger. Le gouvernement l’est. Le citoyen est désormais vu comme un instrument de protection – c’est grâce à lui que le gouvernement obtiendra l’information nécessaire à la lutte contre le crime, le terrorisme et l’espionnage.

Conséquemment, le citoyen devient donc aussi, et par nécessité logique, la cible de la surveillance. La construction mentale de cette chimère qu’est «l’intérêt national» est désormais échafaudée sur la prémisse même qu’elle ne peut pas faire confiance à sa population. Cela marque ainsi le fait que l’État se détache de plus en plus de la base de ses fondations.

La place de la technologie et de la sécurité dans le quotidien des citoyens

D’un point de vue plus global, le phénomène Snowden soulève assurément des questions qui vont au-delà du simple aspect technologique. Il touche à la question du vivre ensemble, et du coût que cela implique. Les règles, la surveillance, le rôle des gardiens et des décideurs politiques, voire le discours entourant la sécurité. Il est plus qu’important de se questionner sur les mesures prises dans la foulée du 11 septembre : les règles du vivre ensemble semblent avoir changé, mais est-ce que le jeu en vaut la chandelle?

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Alors que nous avons vu se multiplier les microconflits ou les civils adoptent désormais le rôle des soldats – Didier Bigot parlait de la «capillarisation» des conflits en référence aux plus petites veines du corps –, on assiste plus ou moins à la même mouvance du côté de la surveillance, mais il y a toutefois une plus-value. Certes, il y a effectivement une décentralisation de la surveillance, alors que tout le monde est à la fois un instrument de surveillance potentiel, et ce, au travers d’appareils connectés et intelligents. Cependant, ces mêmes «instruments de surveillances» sont eux aussi surveillés; ils peuvent aussi être cooptés «en masse» de manière à fournir une quantité de données jusqu’à alors impensable à l’échelle humaine. Le big data rend non seulement possible la prévisibilité de mouvements globaux au sens large, mais il permet aussi la microgestion du monitorage, parce que les outils technologies donnent aussi la possibilité de nettoyer le bruit intégral pour délimiter les activités d’une unité.

Si l’on dit que le terrorisme cherche essentiellement à vicier les valeurs de la démocratie, il est à se demander qui est réellement coupable de cette exaction sur la liberté de penser et d’agir. Nous le sommes probablement tous, et ce, à des niveaux différents et de manière plus ou moins consciente.

Ainsi, à la capillarisation de la surveillance s’ajoute la possibilité d’une surveillance conglomérée, ou chaque nœud de surveillance agit comme un franchisé de la vigie globale, et ce, de manière volontaire ou non; une chose impensable il y a de cela quelques années à peine. Si cela est aujourd’hui envisageable, c’est qu’un nombre significatif d’individus voient dans les technologies plus d’avantages que d’inconvénients, où ils ignorent tout simplement comment ils peuvent faire partie d’une communauté de surveillance à leur insu. 

Le présent débat force aussi la réflexion sur l’obsession de l’atteinte du risque zéro; un réflexe profondément ancré dans notre façon d’analyser notre environnement. Alors même que nous vivons avec des risques qui nous pendent au bout du nez tous les jours (prendre la voiture est, en soi, une activité à haut risque), plusieurs d’entre nous sont convaincus que la menace est incarnée dans les comportements volontaires d’une poignée d’individus.

Ce qui est d’autant plus navrant, c’est de constater l’habileté avec laquelle les discours politiques en arrivent à aseptiser la réalité scientifique au profit d’une recherche constante d’une sécurité absolue face à des menaces floues, voire vaseuses. Alors même que nos sociétés vivent des risques d’autant plus grands et véritablement clairs, comme le réchauffement climatique, ou l’épidémie d’Ebola, il est ahurissant de constater les efforts déployés dans la régulation de comportements qui, sur une échelle planétaire, sont ridiculement minimes en conséquence.

On peut finalement aussi se poser la question sur les valeurs fondamentales qui sont au cœur de nos sociétés. Alors que plusieurs ont vu les attentats du 11 septembre comme étant la cristallisation d’un clash de valeurs, il faut se demander si les «barbares» qui sont venus ébranler les fondements de nos sociétés «modernes» sont réellement ceux que l’on croit.

Car, si l’on dit que le terrorisme cherche essentiellement à vicier les valeurs de la démocratie, il est à se demander qui est réellement coupable de cette exaction sur la liberté de penser et d’agir. Nous le sommes probablement tous, et ce, à des niveaux différents et de manière plus ou moins consciente.

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