Leur place est dans un musée!

Lorsque la plateforme en ligne GOG a annoncé que Star Wars : Rebellion était en vente, j'ai tout de suite déboursé les quelques dollars nécessaires pour mettre la main sur le jeu qui avait occupé tant d'heures du début de mon adolescence.

Cette remise à neuf de jeux rétro ne date pas d’hier. On ne compte plus les versions modernes de titres classiques, les remakes en haute définition, les reprises, etc. Les plateformes de vente de jeux en ligne n’échappent pas non plus à la vague. Steam et Origin, bien sûr, mais surtout GOG, dont le nom original était Good Old Games. Au diable les PC monstrueux dopés aux stéroïdes, l’heure est à Oregon Trail, Commander Keen et Command and Conquer première mouture.

Il faudra des efforts plus importants pour parvenir à conserver ce qui se profile comme une «mémoire numérique collective».

Tout cela est bien beau, et si l’on peut certainement excuser la propension à exiger un prix pour jouer à des jeux abandonnés depuis longtemps en raison de la compatibilité avec les systèmes d’exploitation modernes, cette démarche de préservation se fait uniquement dans un but commercial. Bien entendu, la disparition de l’obligation de posséder une copie physique du jeu pour y jouer est un grand avantage pour des collectionneurs privés ou publics, mais il faudra des efforts plus importants pour parvenir à conserver ce qui se profile de plus en plus comme une «mémoire numérique collective».

L’âge de raison

Plus d’une trentaine d’années après l’apparition des premières consoles de jeux vidéo, le divertissement électronique est déjà entré au musée. Une exposition mise sur pied en collaboration avec Ubisoft est d’ailleurs présentée jusqu’en septembre au Centre des sciences de Montréal, et le Musée de la civilisation de Québec a lui aussi accueilli un événement similaire en 2013.

Un aperçu de l'exposition Game On 2.0 de Toronto.
Un aperçu de l’exposition Game On 2.0 à Toronto.

Ces expositions portent cependant sur le jeu comme simple divertissement : on nous invite à venir jouer à plusieurs dizaines de jeux, et si Game On à Montréal est semblable à ce qui était présenté dans la capitale, l’aspect historique n’est présent que sous la forme d’un parcours allant de l’Atari ou du Magnavox Odyssey aux plus récentes itérations des Microsoft, Sony et autres Nintendo. Rien de mal à cela, bien sûr, mais le jeu vidéo comme art à part entière semble être un concept qui n’a pas encore gagné les masses.

Oh, on pourra toujours arguer que tel ou tel jeu est une œuvre d’art, et il est certain que plusieurs titres se démarquent par l’originalité de leur scénario, le talent des développeurs, ou encore la beauté des images offertes au joueur. En acceptant cependant cette perspective du «jeu vidéo artistique», on se retrouve confronté à deux problèmes importants.

D’intéressants débats en perspective, d’autant plus que de tels palmarès existent déjà sur le Web, et qu’aucun ne fait l’unanimité.

Tout d’abord, qu’est-ce qui définira un jeu comme une œuvre d’art? Ce neuvième (dixième?) art est-il vraiment semblable aux autres, avec ses chefs-d’oeuvre, ses croûtes, et tout ce qui se classe entre les deux? Call of Duty représente-t-il la version numérique du brutalisme en architecture, avec ses lignes austères, carrées, son «béton» gris et étrangement fascinant fait de zéros et de uns? Castlevania doit-il entrer au panthéon simplement en raison de sa popularité?

Certes, les critiques s’entendent généralement pour dire que certains jeux sont absolument épouvantables, mais qu’en est-il des autres? Doit-on placer en tête de liste ceux qui ont défini leur genre respectif, comme Doom, ou encore SimCity? D’intéressants – et furieux – débats en perspective, d’autant plus que de tels palmarès existent déjà sur le Web, et qu’aucun d’entre eux ne fait l’unanimité. Un peu comme la littérature ou le cinéma, finalement.

Garder, oui, mais garder quoi?

L’autre question, encore plus importante, est celle de la conservation. Si, dans certains cas, les éditeurs des jeux existent encore, habituellement, ceux-ci ont été rachetés ou ont fermé leurs portes plusieurs années plus tard. Dans les deux cas, leurs propriétés intellectuelles, et donc leurs jeux, se retrouvent parfois dans la besace des nouveaux propriétaires, parfois éparpillés aux quatre vents.

La scène finale du film Raiders of the Lost Ark semble appropriée ici (Image : Lucasfilm).
La scène finale du film Raiders of the Lost Ark semble appropriée ici (Image : Lucasfilm).

L’exemple de Homeworld est frappant : développés par Relic Entertainment et distribués par Sierra, les deux jeux de la série passent chez THQ lorsque cette entreprise achète Relic en 2004. En 2013, THQ est à son tour rachetée par Sega pour près de 27 millions de dollars US. Les droits de la saga spatiale Homeworld tomberont finalement entre les mains de Gearbox Software (Alien : Colonial Marines, mais aussi Borderlands). Pas de trace toutefois de Homeworld : Cataclysm, une expansion du premier jeu, puisque les droits se sont évaporés dans la nature.

Ce manque d’attention portée à la longévité des titres fait mal dans l’industrie du jeu vidéo. Si, dans le domaine cinématographique, les ayants droit empêchent par exemple un croisement X-Men / Avengers, dans l’industrie du jeu vidéo, on a plutôt tendance à jeter à la poubelle tout jeu qui ne rapporte plus au-delà d’un certain temps. Ces titres sont alors abandonnés, et parfois rendus disponibles gratuitement en ligne. Cet abandonware est d’ailleurs facilement accessible, que l’on veuille y jouer sur son ordinateur ou directement dans son navigateur Internet.

Show me the money!

Une bonne idée, peut-on affirmer sans se tromper, mais qui ne règle pas la question de la préservation des jeux au bénéfice des générations futures et des chercheurs. Le problème est particulièrement délicat en ce qui concerne les jeux massivement multijoueurs. Puisque ceux-ci reposent sur la disponibilité de serveurs offerts par le studio ou l’éditeur, ces jeux ont tendance à disparaître corps et âmes lorsque l’on «tire la plogue».

Dans une déclaration sans équivoque, l’Entertainment Software Association (ESA) déclarait le mois dernier qu’il était hors de question de permettre à des amateurs ou des chercheurs de modifier le code source de jeux multijoueurs pour prolonger la durée de vie de ces titres abandonnés. Aux yeux de l’industrie, il est impossible de faire de l’argent, et aller jouer dans le code équivaut ainsi à commettre un acte de piratage informatique qui devrait être puni par la loi.

Est-ce là une réaction légitime? Dans une perspective uniquement consumériste, sans doute. Dans une perspective artistique, de divertissement ou de recherche, c’est la mort à petit feu de communautés entières qui mériteraient peut-être d’être sauvées. L’Electronic Frontier Foundation plaide l’utilisation d’exemptions pour l’article 1201 du Digital Millennium Copyright Act aux États-Unis. Cette portion de la loi régit les dispositions anti-contournement des méthodes de lutte au piratage.

Tous les jeux méritent-ils d’être sauvés? Certainement pas. Mais le domaine des jeux vidéo est plus qu’un simple secteur de l’industrie du divertissement.

Tous les jeux méritent-ils d’être sauvés? Certainement pas. Mais le domaine des jeux vidéo est plus qu’un simple secteur de l’industrie du divertissement. Avec les années, l’innovation, l’originalité et la débrouillardise des développeurs a permis de créer de vraies œuvres d’art qui méritent d’être préservées, d’être étudiées et d’être transmises aux générations futures.

Star Wars : Rebellion ne passera peut-être pas à l’histoire, mais cela devrait être décidé par la communauté, et non pas par des responsables du département comptable ou par les avocats d’une compagnie.

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