YouTube, les Fine Bros, le projet React World et la claque en arrière de la tête

Ô rage, ô désespoir, ô politiques incompréhensibles sur YouTube! Le service de diffusion de vidéos appartenant à Google a déjà connu sa part de controverses et de crises, mais la décision des Fine Bros de se réserver le terme «React» – depuis annulée – a assené un nouveau coup à l'édifice byzantin des droits d'auteur en ligne.

D’abord, un résumé des faits. Il y a quelques jours, les producteurs Benny et Rafi Fine, responsables d’une série de chaînes regroupant entre autres des reaction videos, ces capsules où diverses personnes sont filmées alors qu’elles manipulent de vieux objets ou réagissent à d’autres vidéos, annonçait la création de React World.

La vidéo (très enthousiaste) de l’annonce initiale.

L’idée consistait à mettre sur pied un système de franchise permettant à quiconque de produire des vidéos selon le format et la marque React en partenariat avec Fine Brothers Entertainment. En adoptant les normes de production et les règles de la compagnie mère, les YouTubeurs pouvaient espérer un plus grand nombre de clics et des revenus plus élevés en échange du partage d’une portion de ces mêmes revenus avec leurs nouveaux patrons.

Jouer avec le feu

Jusque là, rien de catastrophique. Le hic, c’est que les Fine Bros ont également annoncé avoir déposé une marque de commerce pour le terme «React», histoire de protéger leur marque et leur format contre les imitateurs, ont affirmé les dirigeants.

Il n’en fallait pas plus pour que les excréments frappent de plein fouet les pales du proverbial ventilateur, et que l’Internet déverse son fiel et sa fureur, d’autant plus que certains vidéos comportant l’expression «React» ou adoptant un format évoquant celui popularisé par la chaîne The Fine Bros soient frappés par une demande de retrait déposée chez YouTube.

Les Fine Bros tentent de rectifier le tir (avec beaucoup moins d’enthousiasme).

Après avoir encaissé un torrent d’invectives plus ou moins valables, après un déluge de vidéos critiquant l’initiative, après même une (fausse) diffusion en direct de la baisse du nombre d’abonnés de la chaîne The Fine Brothers (aux dernières nouvelles, quelque 400 000 personnes s’étaient désabonnées, sur un total de plus de 14 millions au départ), Benny et Rafi Fine ont jeté l’éponge tôt ce matin.

Le fait que les deux individus aient affirmé haut et fort que leurs vidéos constituaient des «documents historiques qui serviront d’inspiration aux historiens, dans 100 ans» laisse transparaître une suffisance nauséabonde qui n’a pas aidé leur cause.

«Nous avons réalisé que nous avions bâti un système pouvant être facilement employé à des fins néfastes. Le fait que des marques de commerce comme celle-ci peuvent être employées pour théoriquement donner à des entreprises le pouvoir de contrôler les vidéos en ligne est une inquiétude valable, et bien que nous vous assurions que nos intentions sont bonnes, il est impossible de le prouver», ont déclaré les producteurs.

Le fait que les deux individus aient affirmé haut et fort que leurs vidéos – majoritairement des plans fixes sur des gens regardant d’autres vidéos – constituaient des «documents historiques qui serviront d’inspiration aux historiens, dans 100 ans» laisse transparaître une suffisance nauséabonde qui n’a pas aidé leur cause.

Idem pour la possibilité d’exiger rétroactivement des droits d’auteur sur des vidéos de «réaction» produites avant même que la chaîne The Fine Brothers ne voit le jour!

Lutte à armes inégales

Au-delà du cas d’école sur quoi ne pas faire pour enrager les internautes, cette tentative avortée de renforcer l’emprise corporatiste sur la communauté web est symptomatique d’un problème beaucoup plus large touchant les services de diffusion de contenu, et YouTube en particulier. Propriétaire d’un site web hyperpopulaire écrasant toute concurrence sur son passage, Google a la fâcheuse habitude de fonctionner selon le principe d’inversion du fardeau de la preuve. Avec des algorithmes automatisés traquant les moindres «violations» de droits d’auteur et de propriété intellectuelle détenus par des empires multinationaux du divertissement, YouTube force les YouTubeurs à se défendre contre ces pieuvres numériques particulièrement promptes à faire bloquer du contenu pour éviter que leurs précieux dollars ne tombent dans d’autres escarcelles que les leurs.

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Tout juste avant l’éclatement de la tempête Fine Bros, plusieurs YouTubeurs – spécialement des let’s players – ont vu la monétisation de leur chaîne bloquée, quand ce n’était pas l’ensemble de leurs vidéos qui disparaissaient dans le néant numérique. Des petits noms, mais aussi des gens bien connus ont ainsi été privés de revenu en raison de réclamations de copyright ou de «règles non respectées». Parmi les chaînes connues, on note celle du Nostalgia Critic, Doug Walker, qui s’est tourné vers YouTube pour exprimer sa frustration.

Sa chaîne est revenue à la normale le lendemain de la parution de sa première vidéo sur le sujet, mais il se sera écoulé trois semaines de demandes et d’échanges à sens unique avec YouTube avant que l’aspect viral de son appel à tous ne fasse plier les patrons du site. Si une chaîne aussi importante que celle de Walker (300 000 abonnés, 84 millions de clics) voit ses demandes se perdre dans les méandres du service à la clientèle de YouTube, qu’en est-il des créateurs disposant de moins d’abonnés et de fans?

Liberté contre profitabilité

Au cœur de toute cette pagaille, de cette Maison qui rend fou sans laissez-passer A38, on retrouve le concept délicat d’utilisation équitable, ou fair use, apparenté au premier amendement constitutionnel portant sur la liberté d’expression, une idée sacralisée chez nos voisins américains. 

Au dire même de YouTube, cette idée englobe «un principe selon lequel certains éléments protégés par le droit d’auteur peuvent être réutilisés, dans certaines circonstances, sans la permission du titulaire des droits d’auteur». Les remix, la diffusion d’informations ou encore les critiques d’œuvres culturelles (film, musique, jeu vidéo, et cetera) tombent sous cette définition. YouTube dispose normalement d’un service visant justement à protéger les créateurs de contenu contre les demandes «abusives» de retrait de contenu pour violation de droit d’auteur, mais à l’heur des événements récents, il est évident que les garde-fous sont clairement insuffisants. 

Les créateurs pourraient toujours déserter le service et recommencer ailleurs, mais les alternatives n’existent tout simplement pas. Voilà ce qui se produit en situation de monopole.

Service à la clientèle déficient, normes floues, inversion du fardeau de la preuve, changements fréquents concernant la protection des créateurs et la façon dont ceux-ci peuvent faire de l’argent… YouTube (et Google) a besoin de se reprendre en main et de clarifier ses diverses politiques. Les créateurs pourraient toujours tenter de déserter le service et de recommencer à neuf ailleurs, mais les alternatives n’existent tout simplement pas. Voilà ce qui se produit en situation de monopole. La situation fait d’ailleurs penser, en des termes différents, aux problèmes de Steam en ce qui concerne le service à la clientèle et l’absence de filtres dans la section Greenlight.

Fondamentalement, toutefois, cette gangrène de l’exploitation abusive des droits d’auteur découle de l’application particulièrement malhabile des structures traditionnelles à un univers numérique ayant ébranlé les colonnes du temple. Il n’est plus question de films, de CD, bref de contenus sur support physique distribués dans des marchés spécifiques, en fonction des droits de distribution. Le Web est un milieu mondial au sein duquel on tente d’imposer des frontières, et ces tentatives de la MPAA, de la RIAA et des autres regroupements de grandes maisons de distribution de contenu ne font, en fin de compte, que provoquer régulièrement la révolte des internautes, en plus d’alimenter le piratage.

YouTube mériterait un joyeux coup de pied au derrière, mais il est difficile de bâtir quelque chose de solide quand les outils pour y parvenir sont fondamentalement défectueux.

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