Les maux qui rongent la télévision canadienne

Les nouveaux forfaits télévisuels à 25$ sont en vigueur. L’industrie prévoit un bain de sang. Mais le problème est-il vraiment là où l’on pense?

Notre rédacteur en chef bien-aimé Laurent vous en parlait hier : les fournisseurs de télédistribution canadiens sont maintenant obligés d’offrir à leurs clients des forfaits de base à 25$ ou moins. Ils ne le font pas toujours de très bon coeur, ni forcément dans des conditions avantageuses, mais ils le font.

Quels sont les plus graves problèmes que la télévision canadienne doit affronter?

Or, depuis que l’ancien gouvernement conservateur a invité le CRTC à imposer cette nouvelle réglementation, l’industrie de la télévision prédit une catastrophe. Un rapport commandé par un consortium d’intervenants du milieu et déposé devant le CRTC pour tenter de le convaincre d’annuler sa décision prévoit notamment la fermeture de près de la moitié des stations de télévision locales et la perte de 15 000 emplois d’ici 2020. Dans quatre ans à peine.

Passons sous silence le fait que le petit monde de la télévision canadienne se débrouillait déjà fort bien en matière d’abolition d’emplois, longtemps avant que ce changement réglementaire ne surgisse des tréfonds d’un bureau de ministre. C’est une question pour un autre jour.

Quels sont les plus graves problèmes que la télévision canadienne doit affronter? Et quelles sont les solutions, s’il y en a? Voici ma modeste contribution au débat.

Un modèle d’affaires douteux

D’abord, on nous dit que la fin des groupements obligatoires de chaînes (les bundles) entraînera la mort de certaines chaînes spécialisées et l’augmentation du tarif pour les autres.

meteomedia

C’est possible. Parce que les chaînes en danger sont celles que trop peu de gens veulent regarder pour qu’elles soient viables sans cette béquille. Je n’ai pas besoin de deux chaînes de météo. En fait, je n’en ai pas besoin d’une seule. Pourtant, mon forfait de base les inclut alors une partie de mon paiement mensuel contribue à leur financement. Si vous n’avez pas coupé le cordon avec votre fournisseur, vous êtes sûrement abonné à une ou douze chaînes que vous ne regardez jamais, vous aussi.

Ce modèle d’affaires est fondamentalement malsain. Imaginez une situation similaire dans le sport professionnel : «Vous voulez avoir LeBron James dans votre équipe de basket? OK, mais vous devrez aussi engager mon autre client. Il ne connaît pas la moitié des règles et il vient de se casser les deux bras, mais l’un ne vient pas sans l’autre.» 

Au moins, quand on s’abonne à un gym et qu’on n’y met jamais les pieds, on a fait le choix de s’abonner à un gym où l’on ne met jamais les pieds. Rien ne nous force à payer un abonnement à un gym pour avoir le droit d’aller faire l’épicerie au supermarché voisin.

Trop de chaînes?

Y a-t-il donc trop de chaînes trop spécialisées? Non. Je crois plutôt qu’il y a trop de chaînes PAS ASSEZ spécialisées. 

À la recherche du sacro-saint «grand public», trop de chaînes soi-disant spécialisées finissent par présenter du contenu interchangeable. Dans les faits, elles tentent de se comporter comme des généralistes – c’est-à-dire, de lutter contre TVA et Radio-Canada avec une fraction du budget de V. 

alienmeme

Voici un exemple. Récemment, j’ai constaté qu’Historia présentait une série intitulée Nos ancêtres les extra-terrestres [NDLR : en anglais, Ancient Aliens, d’où origine le mème ci-dessus]. On me dit que c’est hilarant. J’ai de gros doutes, mais d’accord, admettons que ce soit hilarant. Qu’est-ce que ça vient faire sur les ondes d’une chaîne supposée s’adresser à un public d’amateurs d’histoire? Rien. Est-ce que cette émission attire à Historia plus de grand public qu’elle ne fait fuir de membres de ce qui devrait être son auditoire cible? Ça m’étonnerait. 

Mais chose certaine, une Historia qui respecterait son mandat initial serait la seule chaîne francophone consacrée à l’histoire, et pourrait se fier sur un auditoire béton. Tandis qu’en remplissant sa grille de machins louches, elle devient la 117e chaîne généraliste au Québec à se battre pour le temps d’attention du même «grand public». Je ne parierais pas sur ses chances de succès dans un environnement nouvellement compétitif comme celui qui est en train de s’installer.

Je pourrais continuer à donner des exemples longtemps (tousse MusiquePlus tousse) mais est-ce vraiment nécessaire?

Et les emplois, alors?

En ce qui concerne les revenus globaux de l’industrie, la réforme peut entraîner deux conséquences : soit ces revenus resteront à peu près stables mais seront redistribués, soit ils diminueront. 

Si une chaîne disparaît, c’est qu’un nombre insuffisant de téléspectateurs s’y intéresse assez pour s’y abonner sans y être forcé, probablement parce qu’elle n’arrive plus à se distinguer à force de vouloir viser le grand public.

Dans les deux cas, il est probable que certaines chaînes marginales disparaîtront. Et que si ces disparitions entraînent ne serait-ce qu’une fraction des 15 000 nouvelles pertes d’emplois annoncées chez les techniciens, artistes, recherchistes, publicistes et réalisateurs, ce sera une tragédie pour notre industrie culturelle. Ayant travaillé en télévision moi-même pendant huit ans, je suis sensible à cet argument. 

À un détail près : les licences payées par les diffuseurs ne comptent que pour une fraction du budget de production des émissions canadiennes. Dans les faits, les crédits d’impôt, subventions et autres programmes publics paient la part du lion. 

Et rappelons que si une chaîne disparaît, c’est qu’un nombre insuffisant de téléspectateurs s’y intéresse assez pour s’y abonner sans y être forcé, probablement parce qu’elle n’arrive plus à se distinguer des autres à force de vouloir constamment copier le même modèle et viser le même grand public.

Sachant tout cela, je crois qu’il y a un moyen d’éviter la catastrophe.

Une modeste proposition pour tout régler d’un coup

Voici ma modeste proposition : dorénavant, les diffuseurs n’auraient plus rien à payer pour avoir accès aux émissions. Téléfilm, la SODEC, les fonds des câblodistributeurs et autres sources semi-publiques paieraient tout. 

On produirait peut-être un peu moins d’émissions – qui a besoin de 50 shows de cuisine? – mais celles qui seraient produites seraient offertes gratuitement à qui les voudrait. Diffusées à la télé conventionnelle, sur Internet, sur 12 nouvelles chaînes spécialisées de Radio-Canada, n’importe où. 

Mais en échange, chaque chaîne respecterait son créneau à la lettre. Si votre chaîne s’appelle Science Plus, pas question d’y diffuser un show de rénovation, et vice versa. Si vous êtes une chaîne généraliste, vous vous engagez à diffuser tant d’heures de productions locales, tant d’heures d’information, etc. Des quotas qui pourraient augmenter par rapport à la situation actuelle puisque votre risque financier est nul; en fait, les émissions canadiennes seraient MOINS chères pour vous que les émissions produites et doublées à l’étranger. Peut-être qu’il ne serait pas nécessaire de diminuer la production locale tant que ça, après tout.

Dans un tel système, les chaînes seraient plus rentables, les publics spécialisés seraient mieux servis, et peut-être qu’à la longue l’industrie retrouverait la santé plutôt que de gérer une éternelle décroissance.

Et s’il fallait, malgré tout, vraiment payer 3$ par mois pour une chaîne qui nous intéresse plutôt que 1$ pour la même chaîne et 2$ pour deux autres chaînes qu’on ne regarde jamais? Personne n’y perdrait au change. On aurait peut-être moins de chaînes qui diffuseraient de la kardashiannerie 24 heures sur 24, mais je suis pas mal certain qu’on survivrait.

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