Le journalisme à la sauce «printemps érable» 2015

La révolution ne sera pas télévisée… mais plutôt diffusée sur les réseaux sociaux et sur le Web. Si le printemps érable de 2012 a marqué l'apparition de reporters et autres journalistes citoyens dans les manifestations, caméras et téléphones intelligents en main, la reprise de la contestation sociale ces jours-ci révèle son lot de nouveautés technologiques et de nouveaux acteurs de l'information.

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Alors qu’il y a trois ans, CUTV a innové en présentant en ligne une diffusion en direct des événements, avant que 99% Média ne lui emboîte le pas, plusieurs journalistes n’ont désormais besoin que d’un téléphone intelligent pour remplacer la volumineuse et coûteuse caméra reliée au Web.

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The Link, édition de mars 2015.

L’un de ces journalistes, Matt D’Amours, qui collabore à The Link, le journal étudiant de l’Université Concordia, couvre depuis quelques semaines les manifestations étudiantes.

«J’ai couvert des manifestations en 2012… dans ce temps-là, c’était plus indépendant, je sortais avec une caméra DSLR et j’enregistrais, je prenais des photos. Pour le Link, au début, je prenais seulement le son, et je produisais des épisodes de baladodiffusion, histoire de condenser des événements qui duraient trois heures en quelque chose d’écoutable en 30 minutes», indique le jeune homme à l’autre bout du fil.

«J’ai fait ça à quelques reprises, puis j’ai voulu essayer quelque chose de différent», poursuit-il. Lors de sa première couverture en direct d’une manifestation, le journaliste dit avoir rejoint 4 000 spectateurs sur Ustream. «Nous avons eu beaucoup de rétroaction positive, et avons donc décidé de poursuivre dans cette veine-là.»

Travailler léger

Pas question, par ailleurs, de s’équiper de beaucoup de matériel : M. D’Amours travaille avec son propre téléphone, un Galaxy Note II de Samsung. Avec une pleine charge, le journaliste est en mesure de diffuser pendant près de deux heures, avec une consommation d’environ 500 Mo de données. Son forfait chez Vidéotron vient d’ailleurs d’être mis à jour pour une utilisation mensuelle de 10 Go. «Avec cela, je vais pouvoir suivre une douzaine de manifestations, voire plus», confie-t-il. «Ça monte vite, les données… mais c’est gérable.»

The Link ne défraie pas l’abonnement cellulaire de M. D’Amours. «Pour l’instant, ce n’est pas nécessaire; je sais que quelqu’un au Link a lancé une campagne de financement populaire sur GoFundMe pour aider à payer mon compte de téléphone si nécessaire, mais je n’ai pas dépassé [la limite de données] jusqu’à présent.»

Matt D’Amours, qui a entre autres fait grand bruit lors de sa couverture en direct du rassemblement #OccupationUQAM, au cours duquel des étudiants et des militants ont occupé des locaux de l’université jusqu’à l’intervention musclée des autorités, pourrait bien occuper un espace laissé vacant par les grands médias. Ceux-ci, accusés à répétition de «biais journalistique» défavorable envers les étudiants, ont vu leurs journalistes agressés à quelques reprises. Le climat, plus tendu qu’il ne l’était en 2012, a permis à des journalistes plus mobiles comme M. D’Amours de rapporter des images. Troquer RDI pour Ustream n’est cependant pas un gage de sécurité.

Twitter TV

«Diffuser par vidéo augmente un peu les risques. Je dirais que depuis que nous avons fait cela… ça faisait environ une semaine qu’on avait commencé à couvrir les manifestations en direct, on m’a reconnu quelques fois, mais après l’occupation de l’UQAM, c’était un peu fou, mon nom était un trending topic sur Twitter. On me reconnaît maintenant de temps en temps dans la rue. Je ne dirais pas que j’ai peur de cela, c’est pratiquement toujours positif; il n’y a pas vraiment eu d’incident jusqu’à maintenant, mais je garde les yeux ouverts.»

Faire plus, avec moins

«Durant #OccupationUQAM, on a eu pratiquement 20 000 visiteurs… et c’est un gars avec un cellulaire, je pense que c’est incroyable.»

La version gratuite de Ustream semble sinon parfaitement convenir à Matt D’Amours, la seule restriction apparente étant la durée limitée du stockage des vidéos. Quant à Meerkat et Periscope, les deux nouvelles applications de diffusion de vidéo en direct via Twitter, l’absence de version Android de ces programmes tue dans l’œuf toute velléité du journaliste de s’en servir. «J’ai entendu de bons commentaires, mais c’est juste disponible sur iPhone pour l’instant. J’utilise Ustream parce que c’est la meilleure option sur Android en ce moment; ça ne veut pas dire que je ne changerais pas si un meilleur choix se présente.»

Aux yeux du jeune journaliste, la capacité de diffuser de la vidéo en direct à partir d’un téléphone est une avancée majeure, particulièrement pour les reporters indépendants. «Durant #OccupationUQAM, on a eu pratiquement 20 000 visiteurs… et c’est un gars avec un cellulaire, je pense que c’est incroyable.»

Comme l’indique aussi D’Amours, Ustream et la téléphonie sans fil permettent par ailleurs de discuter avec les internautes via la fonction de clavardage de l’application, et de consacrer du temps à l’analyse, plutôt que devoir s’occuper d’un équipement encombrant.

«Je crois que le genre de reportage que je fais représente l’avenir : selon moi, la seule chose qui a limité la croissance de ce type de démarches, pour l’instant, est la technologie. Aujourd’hui, les téléphones sont beaucoup plus puissants et efficaces, et je pense que c’est excellent pour les spectateurs, qui auront droit à plus de perspectives.»

De la tradition… à l’évolution

Les médias alternatifs et étudiants ne sont pas les seuls à utiliser les nouvelles technologies pour changer la façon dont l’information est rapportée. Étienne Fortin-Gauthier, journaliste à La Presse Canadienne, produit lui aussi des tweets, des photos et des vidéos sur le service Vine pour «bonifier la nouvelle».

Un aperçu de l'application de microvidéos Vine.
Un aperçu de l’application de microvidéos Vine.

«Avec une vidéo Vine, on peut transmettre par exemple une émotion ou encore permettre aux internautes de voir l’atmosphère qui règne pendant une manifestation. L’article et le reportage radio que je produis ensuite apportent une perspective différente, où l’on a pris le temps d’approfondir davantage le sujet», mentionne-t-il par courriel.

«Je trouve extraordinaire de découvrir ces nouveaux outils, alors que chacun permet de raconter différemment une nouvelle ou de mettre en valeur un angle particulier d’un sujet.»

Cette multiplication des supports médiatiques est toutefois un choix personnel, et non pas une commande de la salle de nouvelles. «Je trouve extraordinaire de découvrir ces nouveaux outils, alors que chacun permet de raconter différemment une nouvelle ou de mettre en valeur un angle particulier d’un sujet.»

M. Fortin-Gauthier passe lui aussi par son propre téléphone cellulaire lorsqu’il couvre des manifestations, puisque «envoyer un tweet de 140 caractères ou une courte vidéo Vine a l’avantage de consommer un minimum de données cellulaires».

Lui aussi confronté à l’hostilité d’une «minorité de manifestants», Étienne Fortin-Gauthier dit «désamorcer la situation en effectuant un travail d’éducation, en expliquant le travail et le rôle des journalistes, et en les invitant à lire mon travail et à m’écrire… Je leur donne une chance de s’exprimer à mon micro».

Les militants ne sont d’ailleurs pas les seuls à parfois tenter de restreindre la libre circulation des journalistes. «Comme journaliste, il faut faire notre travail en étant détaché des intérêts de ces acteurs et rapporter avec neutralité, rigueur et en s’assurant de sa sécurité. Le Service de police de la Ville de Montréal permet une libre circulation des journalistes, la plupart du temps. Il demeure qu’à l’occasion, des agents peuvent demander aux journalistes de demeurer dans un secteur donné ou encore refuser qu’on traverse des cordons policiers pour se rapprocher d’une situation qu’on souhaite couvrir», mentionne le jeune homme en entrevue.

Les bonnes vieilles méthodes

Si Matt D’Amours ne jure que par Ustream, la mission d’Étienne Fortin-Gauthier, qui consiste principalement à produire des extraits sonores et des articles pour les services radio et écrit de La Presse Canadienne, se conjugue mal avec de la diffusion de vidéo en ligne.

«L’avantage de Vine ou d’autres applications du genre, c’est qu’on peut envoyer rapidement une vidéo et s’assurer de sa pérennité. Avec Meerkat, plus d’actions sont nécessaires pour diffuser un document enregistré une fois que le direct est terminé. Sur le terrain, surtout en situation de crise, la rapidité et la simplicité sont rois», explique M. Fortin-Gauthier.

«Quant à Ustream, c’est un outil exceptionnel qui permet de diffuser au monde entier les images directement d’un événement. Gérer un flux Ustream est cependant très prenant, alors qu’il faut commenter les événements ou au moins tenir son téléphone / caméra. Il me semble impossible de conjuguer ces tâches avec les autres devoirs du journaliste qui doit aller cueillir de l’information, effectuer des entrevues, garder contact avec ses collègues», conclut-il.

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