Protéger les Canadiens au détriment de leur vie privée

Le 18 juin dernier, le projet de loi C-51, qu’il faudra désormais appeler la Loi canadienne antiterroriste de 2015 (la «Loi») est entré en vigueur dans une relative indifférence de la population canadienne.

Essentiellement, la Loi vise à resserrer les règles existantes afin de faciliter l’identification, le contrôle et la répression des menaces envers la sécurité du Canada.

Si l’objectif de la Loi est sans conteste louable, c’est plutôt sa portée et les répercussions qu’elle aura sur le quotidien des Canadiens qui a suscité certaines critiques relativement à la protection des droits et libertés individuelles. En effet, on reprochait notamment à la Loi de permettre une surveillance indue des activités des Canadiens. D’ailleurs, le Commissaire à la protection de la vie privée, Daniel Therrien, soulignait en janvier dernier que l’atteinte aux droits à la vie privée semblait disproportionnée par rapport aux objectifs de la Loi.

Or, ces critiques auront été insuffisantes pour faire reculer le gouvernement fédéral, qui contrôle la majorité de la Chambre des communes et du Sénat.

Je vous propose un survol des éléments les plus critiqués dans cette loi que certains ont qualifiés de «Patriot Act sur les stéroïdes».

Récemment, deux organisations ont toutefois contesté la constitutionnalité de la Loi devant la Cour supérieure de l’Ontario. En effet, l’Association canadienne des libertés civiles et les Journalistes canadiens pour la liberté d’expression allèguent que la Loi viole la Charte canadienne des droits et libertés, en matière de liberté d’expression, du droit à la vie privée et des droits accordés au gouvernement.

En attendant de connaître le dénouement de cette histoire, je vous propose un survol des éléments les plus critiqués dans cette loi que certains ont qualifiés de «Patriot Act sur les stéroïdes».

Partie 1 : La communication d’informations ayant trait à la sécurité du Canada

La Partie 1 de la Loi autorise différentes institutions fédérales à échanger des informations concernant les citoyens canadiens qui pourraient être susceptibles de «se livrer à des activités portant atteinte la sécurité du Canada».

D’emblée, il faut noter que cette partie de la Loi ne cible pas exclusivement la lutte au terrorisme (dans le sens courant du terme), mais qu’elle vise plutôt l’ensemble des activités pouvant porter atteinte à la sécurité du pays. Il s’agit d’une distinction majeure puisqu’il faudra évidemment définir ce qui constitue une «atteinte à la sécurité du pays».

Pour ce faire, il faut se référer à l’article 2 de la Loi, qui définit cette expression comme étant «une activité qui porte atteinte à la souveraineté, à la sécurité ou à l’intégrité territoriale du Canada ou à la vie ou à la sécurité de la population du Canada».

Voilà qui pourrait donner lieu à diverses interprétations.

Ce même article dresse toutefois une liste d’exemples d’activités pouvant constituer une telle atteinte à la sécurité. Parmi celles-ci, mentionnons :

  • Entraver la capacité du gouvernement fédéral en matière de renseignement, de sécurité publique ou de stabilité économique ou financière du Canada;
  • Se livrer au terrorisme;
  • Entraver le fonctionnement d’infrastructures essentielles;
  • Entraver le fonctionnement de l’infrastructure mondiale d’information (dont Internet).

Ainsi, le projet de loi C-51 dépasse du cadre du terrorisme au sens courant du terme. Par exemple, est-ce qu’un site comme WikiLeaks pourrait être considéré comme entravant la capacité du gouvernement en matière de renseignement? Est-ce qu’une manifestation étudiante pourrait être considérée comme entravant le fonctionnement d’infrastructures essentielles (les ponts, routes, et cetera)? Est-ce qu’une attaque de type DDoS pourrait être considérée comme entravant le fonctionnement de l’infrastructure mondiale d’information? Est-ce que les sites gouvernementaux constituent des «infrastructures essentielles»? Voilà autant de questions auxquelles la Loi offre peu ou pas de réponse.

En poussant un peu, on pourrait même se demander si le projet d’indépendance du Québec pourrait être considéré comme une «activité qui porte atteinte à la souveraineté, à la sécurité ou à l’intégrité territoriale du Canada». Toutefois, puisque la Loi ne risque pas d’être interprétée de façon aussi littérale, les membres des partis souverainistes n’ont rien à craindre. Cela dit, le libellé de la Loi permet tout de même qu’on pose la question.

Des manifestants opposés au projet de loi C-51, à Montréal, le 14 mars (Photo : Graham Hughes / La Presse Canadienne).
Des manifestants opposés au projet de loi C-51, à Montréal, le 14 mars (Photo : Graham Hughes / La Presse Canadienne).

Le problème est donc que la Loi pourrait potentiellement permettre qu’un Canadien prenant part à une manifestation soit visé par des mesures devant initialement servir à lutter contre le terrorisme. Il est toutefois prévu que «les activités licites de défense d’une cause, de protestation, de manifestation d’un désaccord ou d’expression artistique» sont exclues de la définition mentionnée précédemment. Or, qu’en est-il d’une manifestation déclarée illégale en vertu d’un règlement municipal?

Il faudra évidemment attendre de voir comment la Loi sera appliquée pour obtenir une réponse à cette question. Néanmoins, à la lecture de son libellé, il est possible de croire qu’une telle manifestation pourrait éventuellement sortir du cadre des «activités licites».

Les informations personnelles des citoyens canadiens pourront donc transiter entre les différentes institutions fédérales, sans égard aux droits à la vie privée et à la confidentialité de ces renseignements.

Pour en revenir au contenu de la Loi, mentionnons simplement que la Partie 1 vise à permettre la communication de renseignements entre diverses institutions fédérales.

Par exemple, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) pourrait demander à l’Agence du revenu du Canada de lui communiquer certaines informations relatives aux activités économiques d’un citoyen soupçonné de terrorisme. Les informations personnelles des citoyens canadiens pourront donc transiter allègrement entre les différentes institutions fédérales, sans égard aux droits à la vie privée et à la confidentialité des renseignements personnels.

En considérant que la définition de terrorisme prévue par la Loi (selon le Code criminel) pourrait éventuellement s’appliquer à un étudiant qui manifeste contre une hausse des frais de scolarité, ça peut donner lieu à certaines inquiétudes.

Partie 2 : La sûreté des déplacements aériens

La seconde partie de la Loi est plus conforme à ce dont on pourrait s’attendre lorsqu’il est question de lutte au terrorisme. La Partie 2 vise essentiellement à obliger les transporteurs aériens à communiquer des renseignements à l’égard des personnes qui sont ou seront à bord d’un aéronef. Encore une fois, ces renseignements pourront être communiqués à diverses institutions gouvernementales, mais aussi à des gouvernements étrangers ou des organisations internationales.

La Loi prévoit également qu’une liste des personnes soupçonnées de menacer la sûreté des transports sera constituée et que ces personnes puissent notamment faire l’objet d’un refus de transport.

Mentionnons enfin que des mesures visant la protection des renseignements personnels sont prévues dans cette partie, dont notamment l’obligation des transporteurs de détruire les renseignements après 7 jours (sauf évidemment s’ils sont nécessaires à l’application de la Loi).

Partie 3 : Modifications au Code criminel

La troisième et dernière partie de la Loi crée de nouvelles infractions criminelles et accorde notamment de nouveaux pouvoirs aux agents de la paix et aux tribunaux en matière de terrorisme.

Encore une fois, le choix des termes employés soulève certaines inquiétudes relativement aux droits et libertés des Canadiens. Par exemple, la modification de l’article 83.3(4) du Code criminel permet maintenant aux agents de la paix d’arrêter sans mandat une personne si cela aura vraisemblablement pour effet de l’empêcher de se livrer à une «activité terroriste».

Il s’agit donc d’un pouvoir relativement large, d’autant plus que la définition d’«activité terroriste» dans le Code criminel peut inclure tout acte, action ou omission qui est commis au nom d’un but ou d’un objectif politique et qui perturbe gravement ou paralyse des services, installations ou systèmes essentiels.

Le siège du Service canadien du renseignement de sécurité, à Ottawa (Photo : Sean Kilpatrick / La Presse Canadienne).
Le siège du Service canadien du renseignement de sécurité, à Ottawa (Photo : Sean Kilpatrick / La Presse Canadienne).

Le Code criminel prévoit cependant qu’une revendication, protestation ou manifestation d’un désaccord n’est pas une activité terroriste, sauf si celle-ci a pour but de compromettre gravement la sécurité de la population.

La question est maintenant de savoir si le fait de bloquer un pont et d’occasionner un ralentissement des services d’urgence compromet gravement la sécurité de la population et, le cas échéant, s’il serait possible d’alléguer qu’il s’agit du but ou d’un des buts de la manifestation.

Bien que le risque semble minime, le fait qu’on puisse se poser la question pourrait constituer un problème en soi.

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