Des bloqueurs de pub pour sauver le Web?

«On a déconné. En tant que technologistes, chargés d’apporter aux utilisateurs du contenu et des services, nous avons perdu de vue l’expérience utilisateur.»

Cette déclaration peu orthodoxe a été diffusé le 15 octobre dernier sur le blogue du IAB, l’Interactive Advertising Bureau, qui regroupe les acteurs de la publicité sur Internet.

La déclaration arrive à point dans un contexte où la publicité en ligne est de plus en plus décriée par les internautes et les entreprises spécialisées. Le plugin AdBlock, qui supprime toutes les publicités, est l’extension la plus populaire sur Chrome avec 40 millions d’utilisateurs. De son côté, Apple permet dorénavant le téléchargement d’applications bloquant la publicité mobile sur Safari. 

Une publicité mal aimée

Le paysage publicitaire, tel que reproduit dans le film They Live (Image : Universal Pictures).
Le paysage publicitaire, tel que reproduit dans le film They Live (Image : Universal Pictures).

Dernièrement, une étude des normes canadiennes de la publicité (NCP) intitulée Perceptions des consommateurs sur la publicité 2015 révélait que les consommateurs canadiens attribuent toujours moins de crédibilité à la publicité en ligne. Si une majorité de Canadiens a une opinion assez favorable de la publicité traditionnelle (papier, radio, télé), cela n’est pas du tout le cas pour la publicité numérique.

56% des Canadiens considèrent que la publicité en ligne n’est pas digne de confiance, alors que ce chiffre n’est que de 30% pour les journaux, 33% pour la radio et 40% pour la télévision. Selon le rapport, «les consommateurs qui se méfient de la publicité en ligne semblent percevoir tout l’univers numérique comme un genre de Far West, et cette perception s’applique à la fois au contenu en ligne et à la publicité en ligne».

Le Far West

La mauvaise perception dont souffre la publicité en ligne dépend aussi du format dans lequel elle est servie à l’internaute.

Voilà l’image que se font les internautes canadiens de la publicité en ligne : un monde chaotique, non réglementé et anarchique, où la loi de la rue met aux prises des bandes rivales luttant pour rentabiliser le moindre clic. 

Selon l’étude, ceux qui perçoivent négativement la publicité en ligne lui reprochent plusieurs choses : les publicités seraient fausses pour 30% des sondés, non contrôlés (16%), favoriseraient la fraude, l’hameçonnage et l’installation de logiciels malveillants (16%). 

La mauvaise perception dont souffre la publicité en ligne dépend aussi du format dans lequel elle est servie à l’internaute. Les internautes canadiens acceptent plus les courriels promotionnels et les résultats de recherche que les pop-up et les publicités intégrées aux applications.

Le succès de Google

Le succès de la régie publicitaire de Google tient d’ailleurs grandement au succès de ses résultats de recherche commandités (appelés AdWords dans le milieu). Les AdWords sont des suggestions de liens publicitaires affichés en haut de page lorsque l’internaute fait une recherche sur Google. À eux seuls, ils représentent plus de 40% de l’achat publicitaire en ligne dans un marché numérique mondial évalué à 234 milliards de dollars (sur un marché publicitaire totalisant 592 milliards de dollars). 

Un aperçu des AdWords de Google.
Un aperçu des AdWords de Google.

Les AdWords fonctionnent très bien parce qu’elles ne sont pas des publicités dérangeantes, mais sont plutôt contextuelles. Elles s’immiscent plutôt bien dans le parcours de recherche du consommateur. Mais Google, comme beaucoup d’autres acteurs, distribue aussi des bannières. Ces format rectangulaires présents un peu partout sur les pages web, sont des déclinaisons électroniques des publicités papiers, mais sont bien moins appréciées que leurs ancêtres. Pire. Parfois elles ne sont même pas vues.

Depuis 1998 par exemple, les experts en affichage publicitaire web connaissent l’existence du banner blindness (aveuglement aux bannières), un processus cognitif qui démontre que les internautes réguliers développent un mécanisme inconscient de protection aux bannières publicitaires. Les utilisateurs ne voient plus les bannières et n’ont même pas conscience de ne plus les voir, car ils se concentrent uniquement sur l’information qu’ils recherchent (et qui se trouve dans le centre de la page et non en périphérie).

Autre problème pour les vendeurs de bannières : ceux qui continuent à les voir se prémunissent de plus en plus en installant des bloqueurs de publicité comme AdBlock sur leur navigateur de bureau. AdBlock existe depuis 2006 et a déjà été installé 400 millions de fois. Son efficacité est redoutable puisqu’il bloque toutes les pubs : les bannières, les pubs YouTube, les publicités Facebook, les AdWords, etc. Selon Randall Rothenberg, président et directeur général de l’organisation Interactive Advertising Bureau, «près de 34% des Américains emploient déjà des bloqueurs de pub. Certains sites, particulièrement ceux consultés par les milléniaux, perdent près de 40% de leurs revenus à cause des bloqueurs de pub

La rationalisation de l’affichage a sapé la confiance de l’internaute

La bannière publicitaire attire sur elles toutes les critiques depuis ses débuts en 1994, mais ces dernières années, les griefs se sont multipliés, notamment en raison de la multiplication des technologies d’automatisation. Depuis 2010, le Real Time Bidding ou encore l’achat programmatique sont venus révolutionner et rationaliser l’achat d’espaces publicitaires en ligne. 

Depuis 2010, le Real Time Bidding ou encore l’achat programmatique sont venus révolutionner et rationaliser l’achat d’espaces publicitaires en ligne.

Des systèmes automatisés permettent d’acheter aux enchères des inventaires d’espace publicitaire en ligne sans avoir à parler à une multitude de régies publicitaires représentant les éditeurs de site. Ces inventaires sont achetés sur des ad exchanges (plateformes d’achat programmatique) des places de marché de la publicité. Souvent comparés à des places de marchés, les ad exchanges permettent la rencontre entre annonceurs et éditeurs, et facilitent l’acquisition de stocks d’affichage en temps réel par le biais de ventes aux enchères qui ont lieu dans les millisecondes avant le chargement de la page. 

Les enchères sont, entre autres, basées sur les profils des internautes ciblés. Cela implique de devoir suivre les internautes afin de récupérer des informations relatives à leur parcours en ligne notamment à l’aide de cookies et de petits logiciels indiscrets. 

Quand l’internaute se connecte sur un site qui a mis son inventaire en vente en RTB, il suffit de 120 millisecondes pour que la plateforme publicitaire détecte le profil et les centres d’intérêts de l’individu (en fonction de ses cookies ou encore de sa position géographique). Elle propose aussitôt cet espace à des annonceurs qui se le disputent aux enchères.  

Le problème d’une telle pratique est aujourd’hui manifeste et le texte du Advertising Bureau en fait parfaitement état : l’automatisation à outrance a sapé la confiance des internautes et ralentit l’Internet.

«Dans notre quête de l’automatisation et de la maximisation des marges […], nous avons bâti une technologie publicitaire afin d’optimiser le rendement des budgets marketing des éditeurs qui s’était érodé au cours de la dernière récession. Avec le recul aujourd’hui, gratter quelques centimes nous a peut-être coûté des dollars en loyauté du consommateur. Le système de reciblage rapide avec des publicités toujours plus lourdes a ralenti l’Internet du grand public et pompé plus d’une batterie. […] Ce rouleau compresseur est venu à bout de la patience des utilisateurs.»

L’ingénieur avant le spécialiste de l’image

L’achat publicitaire programmatique a donné aux ingénieurs le pouvoir sur les spécialistes de l’image et du message. Il a alourdi l’Internet en multipliant les cookies et a aussi multiplié le phénomène des fausses impressions. Dans un article majeur écrit sur le sujet dans les pages de Bloomberg Business, Bob Hoffman, un vieux routier de la pub et auteur du blogue Ad Contrarian affirme que rien n’a fait plus de mal à Internet que les techniciens de la publicité.

«[La technologie de la publicité] interfère avec tout ce que nous essayons de faire sur le Web. Elle a déprécié et miné la publicité, puis a engendré l’apparition d’empires criminels», dit-il. «Personne ne connaît le chiffre exact, mais probablement que 50% de ce que vous dépensez en ligne [en campagne publicitaire] vous est volé.»

Le marché mobile va-t-il enterrer la bannière?

Depuis un mois, le débat sur la publicité en ligne s’est transporté vers la publicité mobile. On le sait, les internautes se connectent de plus en plus avec leur téléphone; plus de 7 heures par semaine au Québec selon eMarketer. Pourtant, les bloqueurs de publicité sur mobile n’existent presque pas.

autelephone

C’est d’autant plus pénible pour les utilisateurs, qui doivent composer avec des pubs mobiles souvent plus dérangeantes encore que les pubs sur leur ordinateur : les bannières sont souvent mal configurées, donc mal affichées, elles cachent le texte, gâchent la lecture, et ralentissent elles aussi votre mobile. Une étude réalisée par Mozilla a révélé que les scripts associés aux publicités qui suivaient l’internaute pour les recibler ralentissaient le chargement des pages de près de 40%

Manifeste pour une publicité LEAN

C’est pour répondre à ces enjeux qu’Apple a décidé d’intégrer dans iOS 9 une API (interface de programmation) qui permet aux développeurs de bloquer plusieurs contenus, dont la publicité. Le lendemain du déploiement de la mise à jour, des centaines de bloqueurs de publicités étaient déjà accessibles sur l’iTunes Store (dont CrystalPurify, 1Blocker, ou encore Peace).

Apple, qui se présente toujours comme le défenseur de l’utilisateur et qui rend tout user friendly, affirme avoir voulu améliorer l’expérience en accélérant la navigation, mais derrière ces belles paroles se cache aussi un acte de guerre envers le grand rival Google

Apple veut couper l’herbe sous le pied de Google en lui retirant une partie de ses revenus. Rappelons que Google génère 90% de ses revenus avec la publicité (et notamment la publicité mobile) alors que les revenus d’Apple en matière de publicité sont marginaux (à l’exception de la plateforme iAd). Pour Google, la perte est majeure quand on sait que près de 15% des téléphones intelligents vendus dans le monde en 2014 fonctionnent sous iOS. 

Pour sauver la publicité en ligne, l’IAB invite ses membres à suivre un nouveau code de bonne conduite résumé dans l’acronyme LEAN (léger, chiffré, choisi, non invasif). LEAN vise à réduire la taille des fichiers (qui peuvent représenter plus de la moitié du poids d’une page web sur mobile), à assurer la sécurité des utilisateurs, à respecter la vie privée et renforcer l’expérience utilisateur.

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