Les pires contre-attaquent

Vous aimez détester la pub sur Internet? Bon appétit, vous allez être servis…

Plus tôt cet automne, je profitais de la présente tribune pour soupeser les bienfaits et les malédictions de la publicité en ligne. Je recommandais notamment aux publicitaires de proposer une trêve aux internautes en adoptant un comportement civilisé : pas trop de pub, pas trop envahissante, de sorte que les utilisateurs ne ressentiraient plus le besoin d’employer des logiciels de bloquage. Tout le monde en serait ressorti gagnant – sauf les développeurs de logiciels de bloquage, évidemment.

Eh bien, devinez quoi? Ils ne m’ont pas écouté.

Voici quelques beaux champions qui ont sûrement obtenu des «A» dans leurs cours Comment se faire haïr 101 au cégep et que seuls les développeurs de logiciels anti-pub remercient aujourd’hui d’exister.

Les envahisseurs

Comment les éditeurs de contenu en ligne devraient-ils réagir à la présence de logiciels de bloquage? 

La solution passive-agressive serait de détecter le logiciel de bloquage et d’afficher un message du genre : «Nous vivons de la publicité alors nous refusons de vous montrer cette page. Désactivez votre bloqueur et revenez nous voir, là!»

La solution gentille, je l’ai déjà expliqué, consiste à modérer les inconvénients de la pub pour que le problème disparaisse de lui-même. La solution passive-agressive serait de détecter le logiciel de bloquage et d’afficher dans le navigateur du visiteur «fautif» un message du genre : «Nous vivons de la publicité alors nous refusons de vous montrer cette page. Désactivez votre bloqueur et revenez nous voir, là!» Une approche justifiable puisque le téléchargement d’une publicité constitue le prix que l’éditeur a fixé pour son produit.

Et la solution destroy, que celui qui l’adopte vous assène sur la tête comme un gros coup de marteau en hurlant «For the Horde!», genre? Faire appel à une technologie qui pénètre les défenses de votre logiciel anti-pub et vous sert de la pub quand même.

C’est l’approche qu’ont choisie le magazine The Economist et quelque 500 de ses congénères. Leur technologie s’appelle PageFair et consiste en un cocktail de méthodes de contournement et de pots-de-v… euh, d’ententes parfaitement légitimes avec des développeurs de logiciels de bloquage pour qu’ils laissent passer certains contenus publicitaires – et donc, pour qu’ils ne fassent plus ce pour quoi vous les payez. Et ça, ça s’apparente un peu beaucoup à une intrusion dans votre ordinateur.

Surtout que, pendant un court moment il y a quelques semaines, le contenu publicitaire ainsi livré de force était un maliciel qui avait été introduit sur les serveurs de PageFair. Oups.

Faites-vous plaisir : cherchez sur Internet une liste des clients de PageFair et n’allez plus jamais sur leurs sites. Je suis sûr que vous ne manquerez pas grand chose.

Les suiveux

Tout le monde vous observe sur Internet. Pas seulement la NSA, mais aussi Google, Facebook, Yahoo s’il reste encore quelqu’un chez Yahoo, et des dizaines d’autres vendeurs de publicité qui veulent savoir comment mieux vous cibler. 

Les revenus annuels de Google, Twitter et Facebook (Image : Do Not Track).
Les revenus annuels de Google, Twitter et Facebook (Image : Traque interdite).

Récemment, une organisation de protection des consommateurs a demandé à la FCC, l’équivalent américain du CRTC, d’ordonner que les fournisseurs de services en ligne soient obligés de respecter les requêtes anti-observation (Do Not Track) formulées par les internautes. Par exemple, un site web ne pourrait plus exiger que vous acceptiez qu’il vous observe – pour que son agence publicitaire puisse mieux choisir les annonces qu’elle vous montre – avant de vous livrer son contenu. 

La FCC a cependant refusé d’intervenir, sans doute au grand plaisir des publicitaires qui pourront continuer à ignorer les requêtes Do Not Track s’ils le désirent.

Je l’ai déjà dit : je suis de ceux qui préfèrent qu’on leur serve une pub vaguement appropriée, quitte à ce que l’on m’observe pour savoir que je préfère le chocolat aux levées de fonds du Parti républicain. Mais ici, il ne s’agit pas de refuser de «payer» pour son contenu en recevant de la pub, mais bien d’empêcher un publicitaire d’installer un gentil cookie ou un vilain mouchard sur les ordinateurs des gens contre leur gré. Une demande plus que légitime.

Un publicitaire bien élevé devrait accepter ce genre de requête sans rechigner, et se contenter de servir ses pubs en se fiant sur des critères géographiques ou démographiques plutôt que de tenter de tout savoir sur chaque individu. Agir autrement équivaut à supplier les internautes de choisir le bloquage.

Les chuchoteurs

Et voilà qu’on commence à parler de signaux ultrasoniques cachés dans les messages publicitaires. 

Pas pour vous laver le cerveau, rassurez-vous, mais pour que des mouchards cachés sur votre téléphone intelligent ou sur votre tablette puissent savoir en temps réel quelles pubs vous avez vues sur votre portable ou sur votre téléviseur, pendant combien de temps vous les avez regardées, et si vous avez effectué une recherche sur le Web mentionnant le produit en question par la suite. La solution pour qu’on puisse vous suivre partout, sur tous vos appareils, même ceux qui ne sont pas connectés à Internet. Et le plus «beau», c’est que puisqu’il s’agit d’ultrasons, vous ne vous rendrez compte de rien. (Votre chien pourrait faire un drôle d’air, par contre!)

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Science-fiction? Selon un rapport cité par Ars Technica et datant d’avril dernier, une compagnie du nom de SilverPush aurait déjà intégré sa technologie d’espionnage ultrasonique dans 67 applications et observerait déjà plus de 18 millions de téléphones intelligents, à l’insu de leurs propriétaires puisque même l’identité des applications qui utilisent cette technologie est gardée secrète.

Pour un publicitaire, une technologie comme celle de SilverPush permet de mieux vous connaître en croisant les flux d’information collectés sur tous vos appareils. En soit, l’objectif est légitime, pour autant que l’on accepte l’existence d’un quelconque marché publicitaire. Mais la méthode donne froid dans le dos, surtout qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une imagination paranoïaque pour réaliser que le potentiel d’abus associé à une telle technologie de surveillance tous azimuths est pratiquement infini.

Les mauvais voisins

Si j’étais un publicitaire, je crierais haut et fort que jamais, au grand jamais, je ne ferais appel à aucune des stratégies mentionnées dans cet article. Et j’encouragerais mes compétiteurs à faire la même chose pour éviter que le prochain congrès de l’industrie ne soit assailli par des villageois avec les mains pleines de fourches et de torches enflammées. 

Parce qu’accepter de la pub en échange d’un contenu, c’est une forme de contrat, et que je refuse qu’on m’impose un contrat dont les petits caractères sont écrits à l’encre invisible.

Mais je ne suis pas naïf : si ces technologies sont légales, quelqu’un cherchera à s’en servir et à garder la chose secrète.

J’invite donc les programmeurs à développer des technologies qui avertissent les internautes de l’existence d’un serveur de pub agressif sur un site qu’ils s’apprêtent à visiter; qui font croire aux publicitaires qui ignorent les demandes Do Not Track que l’on a bien accepté leurs mouchards mais qui leur livrent de la cochonnerie plutôt que l’information ciblée qu’ils recherchent; et qui traitent toutes les applications qui écoutent des signaux ultrasoniques à l’insu du propriétaire de l’appareil sur lequel elles se trouvent comme des virus à détruire. 

Parce qu’accepter de la pub en échange d’un contenu, c’est une forme de contrat, et que je refuse qu’on m’impose un contrat dont les petits caractères sont écrits à l’encre invisible.

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