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Droit d’auteur sur Internet : un compromis équitable?

Une nouvelle loi qui n’est ni la massue que certains détenteurs de droits d’auteur auraient souhaitée, ni le bouclier d’anonymat derrière lequel certains internautes auraient voulu se cacher.

Depuis le 2 janvier, les fournisseurs d’accès Internet canadiens sont tenus de transmettre à leurs abonnés les accusations d’infractions au droit d’auteur émises par les ayants droit. Cette nouvelle loi n’est ni la massue que certains détenteurs de droits d’auteur auraient souhaitée, ni le bouclier d’anonymat derrière lequel certains internautes auraient voulu se cacher.

Compromis optimal ou poire rendue immangeable parce qu’on l’a coupée en deux avec un couteau rouillé? Difficile à dire. Mais compte tenu des circonstances, il s’agit d’une expérience qui vaut la peine d’être tentée – d’autant plus qu’elle semble s’appuyer sur des résultats préliminaires concluants, ce qui est plutôt rare pour une initiative du gouvernement Harper!

La nouvelle loi, en trois ou quatre paragraphes

Voici, en gros, comment la nouvelle loi fonctionne, d’après le juriste et spécialiste d’à peu près tout ce qui concerne le droit sur Internet, Michæl Geist :

Si votre fournisseur refuse de vous transmettre le message de l’ayant droit sans raison valable, il est passible d’une amende allant jusqu’à 10 000$. Par contre, s’il transmet le message sans délai, il est immunisé contre les poursuites : l’ayant droit ne pourra pas l’accuser d’être votre complice.

Vous, par contre, n’êtes pas immunisé, même si vous détruisez immédiatement les fichiers suspects et que vous ne recommencez plus jamais – mais la somme que l’on pourra vous réclamer ne pourra pas dépasser 5 000$ si votre infraction n’était pas de nature commerciale (autrement dit, si vous n’avez pas revendu le produit piraté).

Le bon, l’information brute et les truands

bonbrutetruand

Il y a beaucoup d’aspects positifs à ce système.

D’abord, en matière de protection de la vie privée : puisque c’est l’ayant droit qui doit émettre la plainte, les fournisseurs d’accès Internet n’ont pas à surveiller le contenu que vous téléchargez et à se mettre le nez dans vos transactions légitimes au cas où elles cacheraient quelque chose de louche. Et comme l’identité d’un présumé fautif n’est pas transmise à l’ayant droit à moins qu’un tribunal ne l’ordonne, on ne risque pas de voir se multiplier les lettres de menaces tous azimuts comme celles que les trolls de brevets envoient régulièrement à leurs victimes.

Deuxièmement, en imposant des plafonds relativement modestes aux amendes pour les infractions mineures, la loi incitera les ayants droit à n’entamer des procédures judiciaires que contre les véritables criminels. Les naïfs qui pensent que «si c’est sur Internet, ça doit être gratuit» et qui se repentent après un premier avertissement ne risquent pas grand chose; les pirates endurcis qui persistent après 5 ou 10 constats d’infraction, par contre, se présenteront au tribunal avec un lourd fardeau de preuve sur le dos.

Troisièmement, même si certains fournisseurs se plaindront des coûts engendrés par la transmission des avis et par la tenue de registres de fautifs présumés – des coûts qu’ils refileront sans doute à leurs clients – ces coûts ne se comparent en rien aux frais judiciaires contre lesquels ils seront dorénavant immunisés.

Enfin, et peut-être surtout, la loi formalise un système qui était déjà en place chez plusieurs fournisseurs canadiens depuis des années et qui fonctionne. Selon des chiffres de Rogers cités par Michæl Geist, 89% des fautifs arrêtent de pécher après avoir reçu un ou deux avertissements.

Le flou et l’argent du flou

On peut certes imaginer quelques problèmes potentiels avec cette loi, en attendant qu’elle ne soit interprétée et clarifiée par les tribunaux :

L’avenir nous dira peut-être le contraire, mais je suis assez optimiste. Et est-ce qu’on peut demander mieux qu’un peu d’optimisme pour commencer une nouvelle année?

Néanmoins, il semble bien qu’il s’agisse d’une solution de compromis raisonnable : le fardeau de la preuve repose sur les ayants droit, les internautes honnêtes ne verront pas leurs connexions ralenties par des mesures de surveillance, et personne ne risque de perdre sa maison parce que Junior a téléchargé deux MP3 sur un site louche, une fois au chalet.

L’avenir nous dira peut-être le contraire, mais je suis assez optimiste. Et est-ce qu’on peut demander mieux qu’un peu d’optimisme pour commencer une nouvelle année?

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