Le prix de la gratuité médiatique

Apple s’est ravisée : les musiciens n’auront pas à faire les frais de la période d’essai gratuit de son service de diffusion en flux continu. Fort bien. Espérons que ça donnera des idées à d’autres entreprises qui vivent de la créativité d’autrui.

Tasse-toi, Dwayne «The Rock» Johnson : le smackdown de l’année, c’est Taylor Swift qui vient de le livrer dans la face de la plus riche entreprise du monde. Grâce à la populaire auteure-compositrice-interprète et à son habile message viral, les musiciens pourront toucher des droits d’auteur lorsque le futur service en flux continu Apple Music fera jouer leurs créations, même pendant la période d’essai gratuit de trois mois consentie aux utilisateurs dans le but de les convaincre de payer un abonnement pour le reste de leurs vies.

Bon, c’est vrai : les artistes qui encaisseront des sommes significatives grâce à cette décision sont aussi rares que les mélomanes qui écoutent encore Gangnam Style par exprès. Un universitaire américain cité par Mashable estime d’ailleurs que, dans 999 cas sur 1 000, le chèque qu’un musicien recevra d’Apple pour ces trois mois de royautés additionnelles suffira à peine à payer un lunch au bar à sushis tellement l’échelle de paiement qui s’applique en général dans cette industrie est infinitésimale.

Mais c’est l’intention qui compte. Parce que la gratuité du contenu, si gratuité il y a, doit être réservée aux consommateurs, et non pas aux entreprises à but extraordinairement lucratif. S’il y a quelqu’un de bien placé pour le savoir, c’est un auteur qui tente de gagner modestement sa vie en écrivant pour le Web. Ça adonne bien, j’en connais justement un!

Écoutez maintenant mon larmoyant témoignage

Jean-Luc Mongrain est attentif au témoignage de François Dominic Laramée (Image : Bell Média).
Jean-Luc Mongrain est attentif au témoignage de François Dominic Laramée (Image : Bell Média).

Il y a quelques années, une entreprise bien connue du monde des médias – je ne donnerai pas de noms, mais disons que tout Québecois et sa mère-grand reconnaîtrait sans difficulté son logo, son acronyme et l’indicatif-musical de ses sempiternelles autopromos – m’a gentiment invité à produire des critiques de jeux vidéo pour elle en échange de «visibilité» auprès des 47 quadrillions de visiteurs mensuels de son site Web.

Aujourd’hui, je ne fais plus de télé et je publie moitié moins qu’avant, alors si on me faisait la même offre… ben, je répondrais exactement de la même façon. Fou de même.

Je lui ai répondu poliment. Mais fermement.

En gros, mon message (enrobé de toutes les fioritures diplomatiques nécessaires) était le suivant :

«Avec un show de télé et 12 à 15 billets de blogues par semaine, j’ai toute la visibilité dont j’ai besoin, merci, mais j’y pensera quand même le jour où ma banque acceptera des chèques de 1 000 visibilités en paiement de mon hypothèque.»

Aujourd’hui, je ne fais plus de télé et je publie moitié moins qu’avant, alors si on me faisait la même offre… ben, je répondrais exactement de la même façon. Fou de même.

Appelons un chat un chat (ou un lolcat un lolcat, puisqu’on est sur Internet)

Je répondrais de la même manière, non seulement parce que j’ai besoin de gagner ma vie, mais aussi parce que, fondamentalement, si une entreprise n’a pas les moyens de payer ce qu’elle vend, elle ne mérite pas d’être en affaires. Ça vaut pour Apple Music autant que pour le casse-croûte Chez Marcel, qui n’oserait jamais dire à son fournisseur de saucisses qu’il ne le paiera pas ce mois-ci parce qu’il offre un spécial 2 pour 1 sur les steamés moutarde-chou, ce qui attirera plus de clients payants le mois prochain, promis-promis.

deli

J’irai plus loin : la seule différence entre un média à but lucratif qui ne paie pas son contenu et un site de piratage qui vend de la pub sur le dos de fichiers Torrent volés, c’est le consentement du créateur – un consentement généralement accordé après une conversation du genre : «Si tu ne me donnes pas ta musique, je vais faire jouer celle de l’autre dude, là-bas, qui est encore plus mal pris que toi.» Ce qui ressemble un peu beaucoup à de l’extorsion.

Le salaire de ton péché, c’est…

Demander aux créateurs de donner leur contenu «pour la visibilité», c’est comme demander à un employé de travailler gratuitement «pour l’expérience», sauf que personne, pas même le plus crotté des capitalistes, n’oserait demander à quelqu’un de travailler «pour l’expérience» pendant toute sa vie.

La gratuité a un coût à long terme, et ce coût, c’est la médiocrité.

Je l’ai déjà dit et je le répète : la gratuité a un coût à long terme, et ce coût, c’est la médiocrité. Personne ne travaille gratuitement longtemps; soit on se fait payer, soit on abandonne et on passe à autre chose. Sauf peut-être dans le cas d’un hobby ou d’une passion – mais un hobby ou une passion, il n’y a pas de raison d’en faire cadeau à Big Média Inc.

Ceci dit, tous les modèles de rémunération ne sont pas égaux, et l’abonnement «buffet à volonté» n’est peut-être pas la solution aux maux de la création. Mais ça, c’est le sujet de la chronique de la semaine prochaine…

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