Hugo Awards 2015 : Et le gagnant est… personne!

Vient-on d’assister à la dernière remise des prix Hugo, les Oscars de la science-fiction? Probablement pas, mais c’est tout comme. Voici une histoire qui finit mal et qui n’a pas commencé tellement mieux.

Quand j’étais petit, je rêvais de gagner un prix Hugo. 

Pas sûr que les Hugo vont faire rêver grand monde après ce qui est arrivé cette année.

Nommés en l’honneur de Hugo Gernsback, le fondateur du légendaire magazine Amazing Stories, et remis depuis 1953, les Hugo récompensent l’excellence en science-fiction : à la télé, au cinéma, et dans les médias imprimés. Surtout dans les médias imprimés. Tous les plus grands auteurs du genre, d’Isaac Asimov à Neil Gaiman en passant par Robert Heinlein, Arthur C. Clarke, William Gibson, Ursula Le Guin et Connie Willis, ont gagné au moins un Hugo au cours de leurs carrières. C’était d’un Hugo littéraire dont je rêvais.

Pas sûr que les Hugo vont faire rêver grand monde après ce qui est arrivé cette année.

Prélude : Une contestation légitime

Au sein de la communauté des fans de science-fiction, ce n’est pas un secret : le type de contenu récompensé par les Hugo a changé au fil du temps. 

Les romans d’action comme Starship Troopers (Heinlein, 1960) et Ringworld (Larry Niven, 1971) ont peu à peu cédé la place  à des oeuvres plus «littéraires» comme The Windup Girl (Paolo Bacigalupi, 2010) ou Hyperion (Dan Simmons, 1990). 

En tant que fan omnivore, je trouvais parfois bien étrange de voir que l’un de mes magazines favoris, Analog, qui publiait des nouvelles de la vieille école, était constamment ignoré par les Hugo dans les catégories éditoriales consacrées à la fiction courte, tandis que mon autre magazine favori, Asimov’s, qui appartenait à la même compagnie, accaparait la plupart des nominations années après année avec du contenu stylistiquement plus léché mais souvent moins «divertissant».

La foule se dirige à l'intérieur de l'auditorium où se déroule l'édition 2015 des Hugo Awards (Photo : Holly Andres / Wired).
La foule se dirige à l’intérieur de l’auditorium où se déroule l’édition 2015 des Hugo Awards (Photo : Holly Andres / Wired).

Les Hugo étaient-ils devenus la chasse gardée d’une certaine vision du genre? Pas tout à fait. Difficile de décrier un monopole quand, entre 2001 et 2003, le prix du meilleur roman de l’année avait été décerné à des auteurs aussi différents que Robert Sawyer – pour une histoire de Néandertalien d’un univers parallèle parachuté au Canada par une expérience scientifique bizarre –, Neil Gaiman et J.K. Rowling!

Contrairement aux Oscars, les Hugo sont remis à la suite d’un vote populaire. Ce qui allait tout changer.

Mais il y avait effectivement une tendance lourde qui se dessinait et qui ne faisait pas l’affaire de tout le monde. Comme certains cinéphiles déplorent que les Oscars ne récompensent à peu près jamais de comédies, certains auteurs et leurs fans dénonçaient le parti pris présumé des Hugo contre la pulp fiction qui avait fait la réputation de la science-fiction au cours de ses premières décennies d’existence – et dont les chiffres de ventes, encore aujourd’hui, dépassent souvent de loin ceux des œuvres primées.

Toutefois, contrairement aux Oscars, les Hugo sont remis à la suite d’un vote populaire. Ce qui allait tout changer.

Aparté : Le système de vote des Hugo

Les Hugo sont attribués en deux étapes. D’abord, un premier bulletin de vote permet aux électeurs de mettre les œuvres de leur choix en nomination. Puis, un bulletin final propose un choix entre les œuvres qui ont été mises en nomination par le plus grand nombre; généralement, on retrouve alors cinq candidats dans chaque catégorie. 

À l’étape finale, les électeurs votent en ordre de préférence : premier choix, deuxième choix, etc. Le candidat qui obtient le moins de votes de première place est éliminé, et on disperse ses votes entre les candidats qui ont été identifiés comme deuxième choix sur les bulletins en question. On recommence ensuite le manège en éliminant un «nouveau dernier» jusqu’à ce que l’un des candidats se retrouve avec l’appui d’au moins 50% des votes.

Qui vote? En gros, tous les membres du congrès mondial de la science-fiction, le Worldcon. Le prix d’adhésion n’est pas très élevé alors le nombre d’électeurs peut être assez considérable : 2 122 cette année à l’étape des mises en nomination, 5 950 à l’étape du vote final. (Les membres du Worldcon de l’année dernière et de l’année prochaine peuvent participer aux nominations.)

En général, le système fonctionne assez bien, mais il y a un détail que je n’ai pas encore mentionné et dont je parlerai plus tard qui, cette année, a tout cassé.

La vengeance des chiots

sadpuppies

Revenons à la contestation. En 2013, l’auteur Larry Correia a créé la campagne des Sad Puppies (Chiots tristes) pour tenter de mousser la candidature d’un de ses propres romans, intitulé Monster Hunter Legion. Associé à la droite américaine (il a déjà possédé une boutique d’armes à feu, si ma mémoire est bonne), Correia est un auteur de science-fiction d’action militaire avec des héros musclés, pas toujours subtils, mais très efficaces. Pensez Die Hard avant que ça foire. Sa campagne n’a pas fonctionné, mais elle est passée si près du but que les puppies ont remis ça en 2014 et en 2015 – en plus ambitieux.

Ainsi, cette année, le mouvement s’est scindé en deux groupes qui ont chacun proposé à leurs membres des listes complètes d’œuvres à mettre en nomination en bloc. Bon nombre de fans qui n’avaient jamais voté auparavant sont donc devenus membres du Worldcon et ont soumis des bulletins de mise en nomination identiques. Une stratégie rigoureusement légale, mais inusitée, qui a eu pour effet de réserver aux favoris des puppies la totalité des nominations dans plusieurs catégories.

Et la chicane a pris.

Un portrait complexe

Ce n’était pas tout à fait un accident. Dès 2013, Correia disait ouvertement vouloir être mis en nomination aux Hugo pour déranger l’establishment du domaine et pour briser ce qu’il appelait un monopole d’œuvres empesées à message gauchiste. Sans être toujours ouvertement belliqueux, il cherchait un peu le trouble, c’est le moins qu’on puisse dire. 

On a donc assez rapidement (et parfois de façon abusive) associé les puppies à des réactionnaires. Mais la situation est plus compliquée qu’elle n’en a l’air : s’il est vrai que certains d’entre eux (comme Vox Day, chef de la faction «chiots enragés») ne sont pas très fréquentables, d’autres (comme Brad Torgersen) sont d’excellents auteurs qui sont effectivement négligés à tort simplement parce qu’ils écrivent d’un point de vue particulier, tandis que certains candidats soutenus par les puppies ont déjà gagné des Hugo avant l’apparition du mouvement – ou ne savent même pas qu’ils ont leur appui.

Pour compliquer encore le portrait, tous les auteurs de science-fiction militaire sont loin d’être des puppies ou même d’être politiquement conservateurs. Mon favori, Eric Flint (vous devez lire 1632 au moins une fois dans vos vies) et même Saint George R.R. Martin du Massacre Perpétuel ont plutôt le cœur à gauche. 

La descente aux enfers

Toujours est-il que la domination des puppies sur le bulletin final de 2015 a déclenché une sacrée tempête.

Pendant des mois, le sous-web de la science-fiction s’est enflammé. D’un côté, on accusait les puppies d’avoir pris les Hugo en otage – alors qu’ils avaient pourtant suivi les règles à la lettre. De l’autre, une certaine frange des puppies se réjouissait ouvertement d’avoir botté hors du bulletin de vote tout ce qui ne faisait pas partie de la «vraie» science-fiction telle qu’ils la voient : et notamment la plupart des femmes et des membres des communautés minoritaires. «Une solide dérape», comme dirait Molière.

Le protagoniste de la comédie Brewster's Millions lors de sa campagne électorale incitant les citoyens d'annuler leurs votes (Image : Universal Pictures).
La comédie Brewster’s Millions et sa campagne électorale incitant les citoyens d’annuler leurs votes (Image : Universal Pictures).

Et c’est ici qu’entre en jeu la particularité du système de vote dont je n’ai pas parlé jusqu’ici. Dans le bulletin préférentiel final, il est possible de voter pour «Pas de prix», si l’on considère qu’une partie ou que la totalité des candidats est indigne de recevoir un Hugo. Or, une bonne partie de l’électorat «traditionnel» des Hugo était tellement choquée par la stratégie des puppies que c’est exactement ce qu’elle a fait – en bloc, elle aussi.

La manière de déterminer si «Pas de prix» est le gagnant dans une catégorie quelconque est assez alambiquée, alors je ne me risquerai pas à l’expliquer ici. Mais sachez que, lors de la soirée de remise des Hugo 2015, tenue le 21 août dernier, «Pas de prix» a gagné dans cinq catégories, dont deux des trois catégories de fiction courte et les deux catégories consacrées aux éditeurs professionnels. Seul le roman et la nouvelle de longueur intermédiaire (le novelette, concours où «Pas de prix» a terminé deuxième) ont résisté à la vague dans les catégories littéraires.

Ça devait être pénible à regarder comme soirée.

Et maintenant?

Absolument rien n’empêche la même chose de se reproduire en 2016.

Personne ne sort grandi de cette histoire. Ni les puppies qui ont transformé la course aux Hugo en une campagne politique pas propre-propre, ni les anti-puppies qui ont préféré dynamiter leur propre party plutôt que de laisser entrer des invités qu’ils jugeaient indésirables.

Le problème, c’est qu’absolument rien n’empêche la même chose de se reproduire en 2016.

À moins que les puppies ne se sabordent, que le système de scrutin ne change de manière radicale, ou que l’on parvienne à un compromis bien improbable, les Hugo pourraient patauger dans le discrédit encore longtemps.

En attendant, réjouissons-nous des victoires sans controverse des Gardians of the Galaxy (long métrage), de Orphan Black (court métrage) et de Ms. Marvel Volume 1 (bande dessinée). C’est déjà ça de pris.

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