Les étoiles, c’est loin. Si les sondes Voyager, les objets les plus rapides jamais construits par l’être humain, avaient été pointées directement vers notre plus proche voisine (Proxima Centauri), il leur aurait fallu environ 70 000 ans pour s’y rendre. Aussi bien dire une éternité, puisque 70 000 ans, c’est deux fois et demie le temps qui s’est écoulé depuis la disparition de nos cousins les hommes de Néandertal.
Les fusées chimiques telles qu’on les connaît ne sont donc pas la solution si nous voulons un jour sortir de notre système solaire. Heureusement, il y a une alternative. Un plan qui prévoit d’envoyer un nuage de microsondes spatiales vers les étoiles en une vingtaine d’années, rien qu’en les propulsant avec de la lumière.
Oui, c’est sérieux.
Le projet Breakthrough Starshot
La semaine dernière, le milliardaire russe Yuri Milner a annoncé qu’il investirait 100 millions de dollars dans Breakthrough Starshot, un projet de recherche qui vise à développer la technologie nécessaire pour atteindre les étoiles en moins de temps qu’il n’en faut pour construire une voie réservée aux autobus sur le boulevard Pie-IX à Montréal. (Si seulement j’exagérais…)
Je vous entends déjà marmonner : «Ouais, mais qu’est-ce qu’il connaît à l’astronautique, ce type? Où est la crédibilité?» Parce que moi aussi, c’est la première réaction que j’ai eue en apprenant la nouvelle.
Le projet est appuyé par des héros geeks comme on n’en retrouve pas souvent au même endroit en même temps. Et surtout, des gens qui n’ont pas beaucoup de temps à perdre dans la vie.
Mais voilà, Milner n’est pas tout seul dans ce projet. Le conseil d’administration de Breakthrough Starshot sera formé de Milner, du physicien Stephen Hawking et du facebookois Mark Zuckerberg. Son directeur général sera Pete Warden, ancien chef du Ames Research Center de la NASA, qui a notamment produit le télescope spatial Kepler et les sondes Pioneer. Assis à la table d’honneur pour la conférence de presse annonçant le projet, on retrouvait le légendaire physicien Freeman Dyson (les sphères de Dyson, c’est lui), l’astronaute Mæ Jemison qui dirige le projet 100 Year Starship, et Ann Druyan, la coscénariste de la série Cosmos et veuve de Carl Sagan.
Des héros geeks comme on n’en retrouve pas souvent au même endroit en même temps. Et surtout, des gens qui n’ont pas beaucoup de temps à perdre dans la vie.
Je le répète : oui, c’est sérieux.
OK, c’est sérieux, mais c’est quoi au juste?
Pour se rendre jusqu’aux étoiles, une fusée normale présente deux problèmes. D’abord, ses moteurs ne peuvent pas fonctionner très longtemps parce que ses réserves de carburant sont limitées. Deuxièmement, elle est lourde, immensément lourde, notamment parce qu’elle doit traîner ce fameux carburant avec elle et l’arracher à l’attraction terrestre.
Pour régler le premier problème, il faut que la source de propulsion soit à l’extérieur du vaisseau spatial. Breakthrough Starshot prévoit utiliser une voile solaire, comme celle que la Planetary Society a testée l’an passé en orbite terrestre.
Imaginez le canon de l’Étoile de la Mort, mais pointée sur un miroir ultra mince plutôt que sur le chalet de la princesse Leia.
Puisqu’une voile solaire est propulsée par la force de la lumière qui la frappe, on tentera de doper celle-ci en la bombardant avec une convergence de rayons laser d’une puissance totale de l’ordre de 100 milliards de watts. Imaginez le gros canon de l’Étoile de la Mort, mais pointée sur une sorte de miroir ultra mince plutôt que sur le chalet de la Princesse Leia, et allumés pendant des semaines, des mois ou des années plutôt que pendant quelques secondes pour transférer le plus d’énergie possible à la voile.
Pour régler le second problème, on miniaturisera la sonde spatiale elle-même à l’extrême. Au lieu d’un robot de la taille d’une fourgonnette comme ceux que l’on retrouve sur la surface de Mars, ou d’un gros réfrigérateur comme la sonde New Horizons qui a visité Pluton il y a plusieurs mois, la sonde Breakthrough Starshot ressemblera à la défunte pièce de un cent. Une pièce de un cent qui contiendra cependant une caméra, un émetteur-récepteur radio, une tonne de mémoire flash et quelques autres instruments – et que l’on pourra produire en masse pour une fraction du prix d’un vaisseau spatial ordinaire, histoire d’en envoyer des dizaines ou des centaines à la fois pour s’assurer que quelques-unes devraient arriver à destination sans écueil.
Résultat? En poussant le plus longtemps possible sur un objet ultra léger, on pourrait l’accélérer jusqu’à 20% de la vitesse de la lumière et atteindre le système d’Alpha du Centaure en une vingtaine d’années, soit 3 500 fois plus vite qu’avec une fusée traditionnelle.
Assez vite pour que ceux qui appuieront finalement sur le bouton de mise à feu puissent recevoir des images des étoiles de leur vivant.
Alors, on part quand?
L’investissement initial de 100 millions de dollars ne suffira pas à financer toute la mission. Au mieux, le projet Breakthrough Starshot dans sa forme actuelle parviendra à prouver qu’il est possible de créer une microsonde assez robuste pour faire le voyage et capable de retransmettre des informations utiles une fois rendue à destination. Et qu’on peut tirer un laser de 100 milliards de watts pendant des semaines sans tout faire exploser, genre.
Pour vraiment envoyer une flotte de microsondes vers les étoiles, il faudra sûrement investir quelques milliards. Disons le prix d’un porte-avions ou deux, pour être généreux.
Mais l’un des aspects les plus intéressants du projet, c’est que s’il fonctionne, on pourra le dupliquer pour une bouchée de pain. Les lasers de propulsion seront réutilisables. Les sondes pourront être fabriquées pour quelques dollars chacune, voile solaire comprise. Il n’est pas impossible, donc, que l’on puisse envoyer des missions d’exploration vers toutes les étoiles situées à, disons, 100 années-lumière de la Terre ou moins, à peu près en même temps.
Ça ne fait pas battre votre cœur de geek, ça?