Cette semaine, un OSBL dédié à l’exploration scientifique tentera de déployer sa propre voile solaire en orbite terrestre, après des péripéties dignes d’une superproduction d’Hollywood.
Un vaisseau spatial propulsé par la pression de la lumière sur une gigantesque «voile» de quelques micromètres d’épaisseur.
Science-fiction? Pas tout à fait. L’idée, popularisée par l’astronome Carl Sagan et par de nombreux auteurs de science-fiction au cours des dernières décennies, a été réalisée pour la première fois par l’Agence d’exploration aérospatiale japonaise en 2010. Et cette semaine, un organisme sans but lucratif dédié à l’exploration scientifique tentera de déployer sa propre voile solaire en orbite terrestre, après des péripéties dignes d’une superproduction d’Hollywood.
Le projet et ses promoteurs
Lancé le 20 mai dernier, LightSail est un prototype de vaisseau à voile solaire sociofinancé conçu par la Planetary Society, un organisme voué à l’exploration spatiale et à la compréhension scientifique de la Terre. Carl Sagan était l’un des cofondateurs de la société en 1980. Bruce Murray, ex-directeur du Jet Propulsion Laboratory de la NASA, en était un autre. Le célèbre astrophysicien Neil de Grasse Tyson siège à son conseil d’administration. Et son PDG, depuis environ 3 ans, est nul autre que Bill Nye «The Science Guy».
Si vous ne connaissez pas Bill Nye, imaginez si Grégory Charles était devenu ingénieur en aéronautique plutôt que musicien, s’il était resté impliqué dans la communication scientifique toute sa vie après avoir animé Les Débrouillards pendant 15 ans, et s’il avait mis ses talents d’entrepreneur au service de la science plutôt qu’à celui des arts. Ça vous donne une idée du personnage.
Mieux : l’ensemble du projet, incluant un deuxième lancement plus ambitieux en 2016, ne coûtera que 5,5 millions de dollars US, une pitance en matière d’exploration spatiale. C’est que le vaisseau choisi pour LightSail est un CubeSat, un tout petit instrument d’un litre pesant à peine 1 kg, qui est lancé en même temps qu’un plus gros projet qui paie l’essentiel de la facture.
Un échec évité de justesse
Le lancement de LightSail a failli tourner au désastre lorsque le vaisseau, victime d’un bug informatique, a perdu le contact avec la Terre le 22 mai dernier. Tous les efforts de l’équipe au sol pour forcer l’ordinateur de bord à redémarrer ont échoué. Il ne restait qu’à espérer un petit miracle : que celui-ci redémarre de lui-même après que le vaisseau soit entré en collision avec des particules de rayons cosmiques, tout juste de la bonne manière – une sorte d’intervention céleste au sens propre du terme.
Huit jours d’attente nerveuse ont suivi. Mais en fin de semaine dernière, le miracle, qui n’était tout de même pas si improbable puisque c’est le scénario qu’avaient prévu les ingénieurs du projet en pareilles circonstances, s’est finalement produit. LightSail est en vie – et si tout se passe bien, sa voile se déploiera demain, mercredi le 3 juin.
L’avantage d’une voile solaire
L’Univers est vaste. Si la sonde spatiale Voyager 1 se déplaçait en direction de l’étoile la plus proche du Soleil, il lui faudrait environ 76 000 ans pour y arriver. Même Helios 2, la plus rapide de toutes les sondes jamais lancées, n’aurait atteint notre voisine cosmique que vers l’an 21 000 – avec beaucoup de chance.
Le problème, c’est la propulsion. Les fusées traditionnelles sont lourdes parce qu’elles doivent transporter des quantités phénoménales de carburant qu’elles brûlent en un rien de temps. Même la gigantesque Saturn V de la NASA, qui propulsait les capsules Apollo vers la Lune, venait à bout de ses réserves en une vingtaine de minutes, même si environ 98% de sa masse au décollage était formée de carburant et de moteurs jetables. Une fois dans l’espace, la meilleure technique inventée jusqu’ici pour continuer à accélérer consiste à exploiter la gravité du Soleil ou des planètes comme une sorte de catapulte, mais encore là, cette source d’accélération disparaît dès que l’on s’éloigne de l’astre en question.
Une voile solaire, par contre, n’a pas besoin de transporter de carburant et elle peut théoriquement servir à accélérer le vaisseau qu’elle traîne derrière elle pendant des millions d’années, puisque sa force motrice provient de la lumière émise par le Soleil. Tant que la voile reçoit des photons, elle accélère. Et si jamais elle atteint le voisinage d’une autre étoile, rien ne l’empêche en théorie de se déployer «à l’envers» et d’utiliser la lumière de cette étoile pour freiner. Magnifique, non?
En théorie, une voile assez étendue attachée à un vaisseau assez léger pourrait franchir des distances intersidérales en quelques dizaines d’années, soit des milliers de fois plus rapidement que ce que l’on serait capable de réaliser avec les techniques en vigueur aujourd’hui.
Attention : il ne s’agit pas d’une solution miracle à tous les problèmes de l’exploration spatiale. La lumière ne procure pas beaucoup de force de propulsion (seulement quelques millinewtons), alors l’accélération est extrêmement lente. Surtout, une voile solaire sera toujours trop faible pour arracher un vaisseau à l’attraction de la Terre : comme ce fut le cas pour LightSail, il faudra toujours utiliser une fusée pour mettre le vaisseau en orbite avant de déployer sa voile pour la suite du voyage.
Mais même une accélération très lente, maintenue assez longtemps, ça compte. En théorie, une voile assez étendue attachée à un vaisseau assez léger pourrait atteindre une fraction appréciable de la vitesse de la lumière et franchir des distances intersidérales en quelques dizaines d’années, soit des milliers de fois plus rapidement que ce que l’on serait capable de réaliser avec les techniques en vigueur aujourd’hui.
La suite
Le prototype de LightSail, qui est en orbite en ce moment, devrait fonctionner pendant environ un mois. Son altitude ne sera cependant pas assez élevée pour «naviguer» sur la lumière : l’objectif de la mission de cette année consiste à tester la technologie et à trouver les bugs avant la vraie mission, qui est prévue pour l’automne 2016.
Et après? Qui sait!