Nous sommes féministes. Nous partageons nos idées sur le Web. Et nous sommes unies par l’expérience de la misogynie latente qui ronge Internet, les médias sociaux, notre vie publique, notre vie privée.
Lorsque nous prenons la parole sur le Web, surtout pour dénoncer la violence sous toutes ses formes que subissent les femmes, le retour de bâton s’associe à une pluie d’insultes et de menaces : «Conne», «J’vais te venir dessus», «Féminazie», «Ostie, j’te fourrerais avec ta p’tite jupe», «Sale chienne», «Grosse truie», «Je te cockslaperais jusqu’à ce que tu fermes ta yeule», «Tu mérites de te faire gang raper», «Tu ne devrais pas avoir le droit de te reproduire», «Impossible qu’elle se fasse pénétrer par un homme sans qu’elle crie au viol», «Fermez don’ vos gueules… pendant qu’elles ferment encore!» Ceci n’est qu’un échantillon du refrain entonné ad nauseam par les graphomanes misogynes qui sévissent sur la Toile. Ces mots témoignent d’un sexisme, d’un antiféminisme, voire d’une haine des femmes si répandue qu’ils frôlent désormais la banalité.
Le cybersexisme est omniprésent dans les conversations en ligne. Il imprègne les fils de commentaires sur les réseaux sociaux et sur les blogues, partout où les femmes prennent la parole dans l’espace public virtuel. Il prend diverses formes : paternalisme, infantilisation, «mansplaining», surveillance, attaques personnelles, «slut-shaming», «fat-shaming», diffusion publique de données personnelles, attaque à l’intégrité physique, menace de viol et de mort, etc. Cette violence misogyne prend une consonance particulière alors qu’elle s’exerce avec des accents racistes, islamophobes, xénophobes, transphobes ou lesbophobes.
De telles attaques cherchent intentionnellement à humilier et à effrayer les femmes pour les exclure du débat public, les museler ou les réduire à la plus simple expression du préjugé culturel et des stéréotypes de genre auxquels on les associe.
Certes, cela n’a rien de nouveau : le sexisme précède l’écran. L’écran offre toutefois des possibilités de techniques nouvelles à l’expression de la haine envers les femmes. Les canaux sont multiples : mots-clics, sites web, tribunes médiatiques, pages Facebook, événements… Souvent, l’anonymat permet à la misogynie de se répandre en toute impunité.
Les recours sont restreints. Répondre aux commentaires sexistes demande beaucoup d’énergie. L’antiféministe de fond moyen considère toute réaction sur le Web à ses propos comme l’acte d’une hystérique. Retirer leurs commentaires? Il s’en trouvera pour parler de censure : comme si la liberté d’expression incluait l’injure et les discours haineux. Porter plainte? Quoiqu’une menace soit toujours virtuelle, une menace issue du Web sera traitée avec peu de sérieux. Tout se passe comme si le cybersexisme était socialement acceptable, normal, et qu’y réagir était la pire des choses à faire : «ignore-les», «t’as pas la couenne bien dure», «t’as pas le sens de l’humour», «parlez-en en mal, parlez-en en bien, mais parlez-en». La violence bien réelle que subissent les femmes dans l’espace virtuel est banalisée, et les auteurs de cette violence disculpés.
Nous déplorons cette situation et demandons à ce que la prise de parole des femmes de tout horizon soit respectée. Le Web et les réseaux sociaux sont des lieux hostiles aux femmes, surtout lorsqu’il s’agit d’exprimer des idées féministes. Pourtant, ces lieux d’expression sont de plus en plus déterminants : nous en éloigner est brimant et limitatif. Nous souhaitons qu’une discussion collective s’engage afin de faire du Web un lieu respectueux pour chacune.
Aussi, il nous appert que les comités éditoriaux des médias sur les plateformes numériques jouent un rôle crucial dans la lutte contre le cybersexisme. Nous les interpellons aujourd’hui en soulignant leur responsabilité sociale dans la création d’un environnement sain pour le débat. Nous suggérons l’adoption de politiques concernant les contenus publiés et une pratique adéquate de la modération favorisant le dialogue entre collaboratrice et lectorat. La cyberviolence est un phénomène grave, qui, combinée au sexisme, nuit à la diversité éditoriale.
Rappelons également que le Code criminel canadien contient des dispositions relatives aux discours haineux reposant sur des motifs liés à la race, l’origine ethnique, l’orientation sexuelle, l’appartenance religieuse, mais aucune sur la discrimination sur le genre. Il n’y a pas d’outil pour contrer la propagande haineuse à caractère sexiste, notamment sur Internet. Il est temps que les femmes disposent d’outils légaux pour se défendre et que des modifications soient apportées à la Loi.
La violence misogyne, l’intimidation et le sexisme en ligne doivent être traités avec le même sérieux que n’importe quelle autre forme de discours haineux. Ce n’est présentement pas le cas. Donnons-nous les outils pour renverser cette tendance. Ensemble, on peut faire en sorte que la violence sexiste 2.0 soit renversée au Québec.