Contre l’instauration d’une «taxe Netflix»? Pourtant, elle existe déjà!

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Stephen Harper semble insinuer que les services numériques en ligne ne sont pas déjà taxables. Or, ils le sont!

«Je suis à 100% contre une taxe Netflix. Je l’ai toujours été et je le serai toujours. […] Seul notre parti va empêcher l’imposition d’une taxe sur Netflix», affirmait le premier ministre dans sa vidéo.

Or, il appert qu’aucun des principaux partis n’a formulé de demande à ce sujet. Ce sont plutôt les conservateurs qui ont eux-mêmes lancé l’idée dans le budget 2014, en proposant une nouvelle taxe afin de favoriser la création de contenus canadiens.

La véritable taxe Netflix

Évidemment, plusieurs médias ont tôt fait de soulever cette contradiction et certains ont même reproché au Parti conservateur de se maintenir à la limite de la désinformation.

Pourtant, personne n’a semblé percevoir l’autre faille dans le message conservateur. Faille qui n’a toutefois pas échappé à l’avocat Simon Bordeleau1, étudiant à la maîtrise en fiscalité à HEC Montréal : «Ce que le premier ministre semble dire, c’est qu’il ne respecte pas ses obligations fiscales et qu’il en est fier», mentionnait-il en réponse à la vidéo conservatrice.

Effectivement, en mentionnant que «certains politiciens veulent taxer les services numériques en ligne» et qu’il est à 100% contre l’idée, Stephen Harper semble insinuer que ces services ne sont pas déjà taxables. Or, ils le sont!

Stephen Harper, visiblement surpris (Photo : Associated Press).
Stephen Harper, visiblement surpris (Photo : Associated Press).

Il faut savoir que les entreprises non résidentes qui offrent des services ou des biens intangibles par Internet, qui n’ont pas d’établissements au Canada ou qui n’y exploitent pas d’entreprises, comme Netflix, n’ont pas l’obligation de percevoir les taxes de vente aux consommateurs canadiens. Néanmoins, ces biens et services demeurent taxables et comme ils ne passent pas par les douanes, c’est aux consommateurs que revient la tâche de remplir un formulaire pour déclarer et remettre eux-mêmes la taxe payable au fisc.

Honnêtement, le faites-vous? J’en doute!

Après tout, selon les données compilées par la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise, on rapporte seulement six déclarations de ce genre au Québec en 2011 et cinq en 2012.

Inutile de préciser que cette méthode de perception n’est pas du tout adaptée à la réalité du commerce en ligne. D’autant plus que les dernières études de Statistiques Canada démontrent, sans surprise, une croissance marquée du nombre de transactions effectuées par Internet, et ce, dans à peu près tous les secteurs économiques.

De lourdes conséquences fiscales

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L’impossibilité pratique de récupérer les taxes sur ces biens et services dématérialisés vendus sur Internet a évidemment de lourdes conséquences économiques, tant au Québec qu’ailleurs au pays.

À titre indicatif, Revenu Québec estimait en 2012 que les pertes fiscales subies par l’État québécois en raison des achats en ligne auprès de fournisseurs hors du Canada s’élevaient à 165 millions de dollars. Toujours selon Revenu Québec, ces pertes seraient de 300 millions dans le cas de fournisseurs établis dans les autres provinces.

Le régime actuel est aussi problématique pour les commerçants qui sont tenus de percevoir la TVQ et la TPS sur des biens et services parfois offerts à un prix moins élevé par des entreprises non résidentes.

Au-delà d’un manque à gagner pour les gouvernements, le régime actuel est aussi problématique pour les commerçants qui sont tenus de percevoir la TVQ et la TPS sur des biens et services parfois offerts à un prix moins élevé par des entreprises non résidentes.

«La situation est profondément inéquitable pour les entreprises québécoises qui doivent de facto essayer de rivaliser avec des compétiteurs qui bénéficient d’un avantage concurrentiel de 15%», estime Me Bordeleau.

Les difficultés de perceptions des taxes de vente sur Internet ne sont pas uniques au Canada. Il s’agit d’un problème à l’échelle mondiale auquel personne n’est parvenu à trouver une solution qui fasse l’unanimité.

Alors que l’OCDE publiait en 2013 un rapport dans lequel elle appelait au développement d’une approche concertée de tous les États membres, certains ont plutôt choisi de mettre de l’avant leur propre solution sans égards à ces recommandations.

C’est notamment le cas des pays de l’Union européenne, qui exige dorénavant que les entreprises non résidentes s’inscrivent et déclarent les taxes sur les services et les biens intangibles vendus sur Internet. La Norvège, l’Afrique du Sud et l’Islande disposent également de régimes similaires. Si cette solution peut sembler à la fois simple et efficace, elle pose toutefois plusieurs problèmes d’application.

Ce n’est pas aussi simple que ça

D’abord, il faut comprendre que cette solution implique que les fournisseurs doivent eux-mêmes percevoir la taxe selon le montant exigible dans le lieu de résidence des consommateurs. En d’autres mots, ils doivent pouvoir établir précisément à quel endroit a été acheté chaque service ou bien intangible vendus par Internet.

«Pour pouvoir identifier la résidence d’un consommateur et appliquer le bon taux de taxe à une transaction, il faut que les entreprises soient en mesure d’obtenir des informations fiables», souligne Me Bordeleau.

La question de la protection des renseignements confidentiels des consommateurs constitue un autre enjeu complexifiant davantage la recherche d’une solution efficace.

Pour ce faire, les entreprises devraient donc pouvoir géolocaliser les consommateurs au moment où est réalisée chacune de leurs transactions. À l’ère des VPN, de la LTE et des achats intégrés sur mobiles, ça peut devenir compliqué d’identifier la personne ayant fait l’achat et de s’assurer du lieu de sa résidence; surtout quand ces achats sont payés avec de la cryptomonnaie, dont l’objectif même est de garantir l’anonymat des consommateurs. Ce système risque donc d’être fort complexe à administrer pour les entreprises, qui courent le risque de faire des erreurs dans la perception des taxes et de devenir imputables face aux différents États.

Sans parler de la question de la protection des renseignements confidentiels et du droit à la vie privée des consommateurs, qui constitue un autre enjeu complexifiant davantage la recherche d’une solution efficace.

«Aux États-Unis, où il n’y a pas de taxe de vente fédérale, certains États ont choisi l’approche inverse et ont demandé aux entreprises de participer à un régime volontaire simplifié d’inscription, en échange d’une exonération de leur responsabilité en cas d’erreur dans la perception», mentionne Me Bordeleau.

Or, cette alternative n’est pas parfaite puisqu’en raison du droit applicable aux États-Unis, les États sont toujours à la merci des entreprises qui peuvent simplement choisir de ne pas adhérer à ce régime. La solution pourrait donc résider dans des méthodes un peu moins conventionnelles.

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«Certains proposent de taxer l’utilisation d’Internet au lieu de taxer les achats à la pièce. Si par exemple un utilisateur télécharge 100 Go, on peut probablement assumer qu’il a téléchargé ou streamé du contenu. En plus, cette solution permettrait de récupérer des taxes sur les téléchargements illégaux», avance Me Bordeleau.

Évidemment, dans le contexte d’un gouvernement qui «s’oppose à 100% à une taxe Netflix», il serait ironique que cette taxe soit remplacée par une «taxe Internet».

«Sinon, certains proposent que la taxe soit perçue directement par les institutions financières, qui disposent déjà d’une quantité appréciable d’informations sur les consommateurs», ajoute Me Bordeleau.

Encore une fois, cette solution ne règle pas la problématique de la géolocalisation des achats effectués en déplacement, mais elle semble toutefois présenter des avantages du point de vue de la sécurité des données.

Finalement, ne retenez pas votre souffle en attendant un changement fiscal en ce qui concerne les achats en ligne. Après tout, les problématiques fiscales reliées au commerce électronique font l’objet de discussions depuis la Conférence d’Ottawa sur le commerce électronique qui a eu lieu… en 1998.

En attendant, vous pouvez «continuer» de faire vos déclarations fiscales de façon volontaire en utilisant le formulaire disponible ici.

  1. En tant qu’étudiant à la maîtrise en fiscalité, Simon Bordeleau a accepté de répondre à nos questions. Il tient à préciser que bien qu’il se consacre présentement à la rédaction d’un travail sur le sujet, les problématiques et solutions soulevées dans le présent article sont développées dans la littérature existante sur le sujet. La problématique étant très complexe, ceci n’est qu’un aperçu des développements dans le domaine.

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