La bulle de filtres, phénomène décrit pour la première fois par Eli Pariser dans son livre Filter Bubble en 2011, est un concept qui n’est pas nouveau en soi. En restreignant ses sources d’informations qu’à une poignée de médias – papier, radio ou télé – nous étions déjà susceptibles de nous isoler dans notre propre vision du monde bien avant Internet.
En fait, le Web et les réseaux sociaux ont certainement contribué à diminuer l’impact de cette influence à leurs débuts, avant l’instauration de filtres. Mais lentement et sûrement, des algorithmes sont venus altérer les contenus affichés sur ces plateformes pour mieux satisfaire la pensée de tout un chacun.
Il faut savoir qu’à la base, la principale motivation derrière les Facebook et Google de ce monde à user de telles stratégies était d’une simplicité désemparante : en personnalisant l’information affichée, on augmente ainsi le taux de rétention des internautes, la pertinence du produit concerné, et par la bande les revenus publicitaires qu’il génère.
«C’est devenu beaucoup plus un problème que moi et bien d’autres auraient pu prévoir.»
Les nouvelles technologies et les réseaux sociaux «vous permettent de vous assembler avec des gens partageant vos idées, de sorte que vous ne vous mêlez pas, ne partagez pas, ne comprenez pas les points de vue des autres», a expliqué Bill Gates dans une récente entrevue avec Quartz. «C’est devenu beaucoup plus un problème que moi et bien d’autres auraient pu prévoir. […] Un phénomène qui est nouveau et plutôt préoccupant est que les gens cherchent des endroits qui ne leur donnent pas vraiment de faits, puis ils y restent», a-t-il ajouté.
Le phénomène de bulle de filtres est perçu aujourd’hui comme le principal moteur derrière la multiplication des fausses nouvelles qui circulent sur les réseaux sociaux ces derniers mois. Les algorithmes de Google, Facebook et Twitter ont changé la perception de bien des gens à propos des récentes élections américaines, alors que ceux-ci ont appris avec stupéfaction la victoire de Donald Trump en novembre dernier.
Certains médias bénéficient d’ailleurs de cette distorsion de la réalité aux États-Unis comme au Canada. Mathieu Charlebois, ancien collègue de Branchez-vous, a d’ailleurs écrit pour L’Actualité un article fascinant au sujet des adeptes de la théorie du complot cette semaine, mettant l’accent sur The Rebel, un média canadien dont les idées rappellent celles de Breitbart.
De son côté, le PDG de Facebook, Mark Zuckerberg, a cité la bulle de filtres comme l’un des deux sujets les plus préoccupants de l’an dernier, aux côtés de l’authenticité douteuse de l’information qui circule sur sa plateforme. «Je m’inquiète à propos de ces sujets et nous les avons étudiés en profondeur», a-t-il écrit dans ce qui n’est ni plus ni moins qu’un manifeste : Building Global Community.
Un vent d’optimisme?
Gates demeure néanmoins optimiste quant aux nouvelles capacités qu’accordent Internet et les nouvelles technologies aux internautes. «Mais la plupart des gens, du moins je l’espère, veulent connaître la vérité, et s’engagent dans un ensemble plus commun de compréhensions. Par chance, lorsque les gens veulent trouver des choses, nous avons un système qui permet de rendre cette tâche plus facile que jamais. S’ils veulent publier des choses, c’est plus simple que jamais.»
«Ce n’est plus seulement le journaliste local qui est responsable d’écrire la nouvelle. Des nouvelles complexes peuvent désormais être trouvées, vous pouvez cliquer sur le dossier d’un procès et accéder à toutes les données, vous pouvez cliquer sur une étude et consulter toutes les informations. Je pense que les aspects positifs de la communication numérique moderne, aujourd’hui et dans le futur, contrebalanceront les défis de cette fragmentation.»
Reste à savoir maintenant pendant combien de temps ce manège perdurera. Peut-on croire que la bulle de filtres éclatera par elle-même tant que les algorithmes régiront l’information qui circule sur la Toile?