Dans Layers of Fear du studio polonais Bloober Team, la création artistique cède la place aux frissons glacés de l’effroi. Artiste célèbre mais controversé, tombé dans l’oubli avec les années, le protagoniste du jeu n’a plus qu’un objectif : terminer son magnum opus, son œuvre maîtresse, son dernier coup d’éclat qui l’immortalisera.
Scénario
Le protagoniste sera confronté aux pleurs et aux tourments ultimement provoqués par ses aspirations artistiques.
Pour parvenir à terminer cette toile déjà entamée cependant, le héros devra se replonger dans ses souvenirs. D’ailleurs, est-il vraiment un héros? Sa demeure, un immense manoir victorien, est déserte, sens dessus dessous. Partout gisent des lettres de rejet, de colère, de regret. Son épouse et son enfant semblent avoir disparu. Son atelier est couvert de taches de peinture, de pinceaux brisés, de bouteilles vides. Il ne suffira en fait pas de s’installer derrière le chevalet pour parvenir à la délivrance.
De fait, la nécessité de compléter la toile est en fait un prétexte pour explorer la spacieuse – et inquiétante – résidence, replongeant du même coup dans les horreurs du passé. Jeu s’appuyant très lourdement sur sa dimension scénaristique, Layers of Fear gagnera à être décrit en des termes les plus vagues possible, histoire d’éviter d’éventer l’intrigue. Il suffit sans doute d’indiquer que pour atteindre son objectif, le protagoniste sera confronté aux pleurs et aux tourments ultimement provoqués par ses aspirations artistiques. Avec les frayeurs et les souvenirs terrifiants que cela laisse supposer.
Design
S’inspirant sans honte de P.T., la version de démonstration du prochain Silent Hill à qui Konami a promptement coupé les ailes, les développeurs de Layers of Fear semblent avoir apporté un soin tout particulier à la richesse visuelle des décors et aux nombreux effets spéciaux accompagnant les déambulations du personnage principal.
En fait, tout est superbe : s’appuyant sur la notion qu’un jeu s’intéressant à la relation entre un peintre et son œuvre, et surtout sur la beauté et la complexité des tableaux exécutés de main de maître, l’équipe de Bloober Team a créé une œuvre d’art. Les murs, les meubles, les objets rangés dans les armoires, voire même le bric-à-brac retrouvé dans les tiroirs, tout a été délicatement sculpté en tirant parti du meilleur du moteur graphique Unity.
Si, comme l’avaient fait les gens de Konami avec P.T., on ajoute à tout cela une gestion époustouflante des sources de lumière et des changements d’éclairage avec ce que cela suppose de jeux d’ombres, on obtient un petit bijou de style. Impossible, dans le cadre de cette critique, de savoir si la performance est équivalente sur PlayStation 4 ou sur Xbox One, mais sur PC, le joueur a véritablement l’impression de se trouver dans un manoir où il ferait bon vivre. Si ce n’était des drames qui s’y sont déroulés, bien entendu.
Ambiance
Car oui, drame(s) il y a eu : le jeu ne s’intitule de toute façon pas Layers of Fear pour rien. Pour embarquer dans cette aventure qualifiée de jeu d’horreur psychologique, les développeurs ont combiné des éléments de décor, des effets spéciaux et une bande sonore angoissante pour être certains de provoquer des sueurs froides chez les joueurs.
À cet effet, il convient toutefois de départager les effets passifs des tentatives volontaires de provoquer un émoi soudain – les fameux jump scares. D’un côté, il y a des bibliothèques qui vomissent silencieusement des torrents de livres, des pièces de la maison condamnées par des chaînes, ou encore cette propension particulièrement intéressante à jouer sur les perceptions spatiales en changeant la structure des pièces sans que l’on ne s’en rende compte.
De l’autre, il y a ces portes qui claquent, ces toiles qui prennent soudainement des allures cauchemardesques, et surtout ces monstres ou ces personnages qui sautent au visage alors que retentit une musique stridente. Cette méthode peut s’avérer efficace dans certains cas, mais comme le processus est répété à l’envi, le joueur finit rapidement par s’attendre à ce que chaque recoin cache une apparition, et certains déclencheurs de ces événements surprenants sont visibles comme le nez au milieu du visage. Rien de plus frustrant, non plus, lorsque l’allant du jeu est brusquement freiné parce qu’il est nécessaire de trouver le petit objet essentiel à la suite des choses. Layers of Fear a donc la fâcheuse tendance à s’essouffler inutilement en cours de route.
Jouabilité
Si les décors et l’ambiance donnent très souvent le bon ton, toutes les ressources semblent être concentrées dans une enfilade de couloirs formant un ensemble quasi linéaire.
Autre pierre d’achoppement pour le titre de la Blooper Team, si les décors et l’ambiance donnent très souvent le bon ton, toutes les ressources semblent être concentrées dans une enfilade de couloirs et de corridors formant un ensemble quasi linéaire. Certes, les développeurs jouent avec la perception spatiale du joueur en modifiant fréquemment des éléments de décor, ou en intervertissant les pièces les unes avec les autres pour créer un labyrinthe, mais il n’en reste pas moins que l’odyssée consistant à récupérer divers éléments pour compléter la dernière toile du peintre consiste à aller tout droit, à ouvrir des portes, et à répéter jusqu’à plus soif.
Layers of Fear est-il donc un triste représentant des walking simulators, ces jeux centrés sur la narration où le joueur n’interagit en fait que faiblement avec son environnement? Oui et non : il sera nécessaire de manipuler des objets, de trouver des clés ou de résoudre des énigmes simples, mais le jeu consiste principalement à entrer dans des pièces, à être surpris ou non par des effets spéciaux, et à faire progresser l’histoire sans jamais pouvoir partir soi-même à l’aventure en s’éloignant de la voie toute tracée par les développeurs.
Si l’on fait abstraction de ces considérations, le mouvement est relativement simple et fluide dans le jeu. Les touches habituelles pour se déplacer dans les quatre directions, le clic gauche de la souris pour interagir avec l’environnement, et le clic droit pour zoomer sur un objet ou un élément de décor. À noter, toutefois, que certaines manipulations sont désagréables avec une souris, surtout l’utilisation de manivelles. Heureusement, celles-ci sont peu nombreuses.
Conclusion
D’une durée d’environ trois heures, Layers of Fear est un jeu en demi-teinte. Visuellement magnifique, et surtout exploitant un domaine laissé relativement en friche par l’industrie, le titre se penche avec brio sur l’idée que le succès créatif est souvent accompagné d’un dysfonctionnement social, dysfonctionnement qui peut mener à la colère, voire à l’horreur.
Les modifications parfois subtiles, parfois frappantes apportées à l’environnement visuel sont elles aussi particulièrement réussies, et le scénario sait laisser au joueur la possibilité de créer sa propre interprétation des éléments qui lui sont offerts.
Là où le bât blesse, hélas, c’est lorsque les développeurs s’appuient sur une construction linéaire peu originale et sur des jump scares pour cimenter le concept de jeu d’horreur. L’horreur, ce n’est pas faire sursauter une personne à répétition, sans créer une atmosphère propice. Et ce n’est surtout pas multiplier les longs corridors menant à d’autres portes qui mènent à d’autres corridors qui mènent à d’autres portes…
Ironiquement, on pourrait évoquer le particulièrement quétaine Phantasmagoria, un autre jeu d’horreur se déroulant dans un manoir, comme une idée de la liberté qu’il est nécessaire d’accorder au joueur pour susciter son intérêt. Le titre développé par Sierra n’est sans doute pas un classique du genre, surtout avec son jeu d’acteurs digne d’un film de série B, mais le terrain de jeu de l’héroïne donnait une impression de liberté désespérément absente de Layers of Fear.
Layers of Fear est en vente sur Steam pour 21,99$. Les vaut-il? La réponse se trouve peut-être derrière la prochaine porte. Mais attention au monstre!