Selon le grand patron de la Recording Academy, sans la Creators Alliance, nous n’aurions que nous à blâmer le jour où les Grammys devront abandonner la catégorie «Meilleur Nouvel Artiste» parce que plus personne ne créerait de nouvelle musique. Snif.
Au palmarès des bénédictions dont l’humanité aurait bien besoin, un nouveau groupe de lobbying au service de l’industrie musicale n’apparaît sans doute pas dans le Top 5 000. La tristement célèbre Recording Industry Association of America a empoisonné ce puits pour l’éternité en poursuivant des grands-mères décédées, des ti-culs de 12 ans et des milliers d’autres personnes, parfois pour des millions de dollars, parce qu’elles avaient partagé illégalement des fichiers musicaux – avant de changer de stratégie et de tenter de faire expulser les fautifs d’Internet à la place.
Et pourtant, la fondation de la Grammy Creators Alliance a bel et bien été annoncée lors de la soirée des Grammys, dimanche dernier. Neil Portnow, le grand patron de la Recording Academy, a justifié cette action en des termes quelque peu mélodramatiques, disant notamment que si rien n’était fait, nous n’aurions que nous à blâmer le jour où les Grammys devront abandonner la catégorie «Meilleur Nouvel Artiste» parce que plus personne ne créerait de nouvelle musique. Snif.
Spotify en ligne de mire
En théorie, l’objectif de la Creators Alliance est noble : faire en sorte que les artistes reçoivent leur juste part des revenus générés par leur musique. Et la cible visée est bien claire : il s’agit des services de diffusion en flux continu dont les redevances versées aux artistes sont notoirement médiocres. Surtout au Canada, où les montants par 1 000 diffusions d’une chanson peuvent être aussi bas que 10,2¢.
Imaginez que vous êtes un artiste, que vous avez un gros hit que 500 000 personnes écoutent chacune 50 fois en un mois, et que vous recevez un gros chèque de 2 550$ à partager avec vos musiciens, votre gérant et votre maison de disques.
J’avoue que, moi, ça me donnerait envie d’arrêter de gratter la guitare et d’appliquer chez Subway.
L’anguille sous le rock
Les membres fondateurs de la Creators Alliance incluent plus de Jennifer Hudson et de Adam Levine que de bands de garage.
Ceci étant dit, on ne peut que ressentir un malaise lorsqu’un lobby de millionnaires prétend lutter pour la justice sociale en influençant le processus législatif à son propre profit. Or, le moins que l’on puisse dire, c’est que les membres fondateurs de la Creators Alliance incluent plus de Jennifer Hudson et de Adam Levine que de bands de garage.
Et comme le groupe est géré par des agents de grandes vedettes, une faune qui n’a pas exactement la réputation d’être peuplée de philanthropes, on est en droit de se demander si l’alliance ne finira pas, plus tôt que tard, par négocier des ententes qui assureront de plus gros revenus aux gros noms en échange de pinottes encore plus pinottesques pour les autres.
Cynique? Peut-être. Mais s’il y a une industrie qui a mérité que l’on soit cynique à son endroit à force de toujours livrer des combats d’arrière-garde, que ce soit contre la vente en ligne, les CD vierges, les iPod ou même les cassettes magnétiques, c’est bien celle de la musique.
Quelques conseils pour les artistes
En terminant, voici quelques modestes conseils pour les artistes :
- En règle générale, lorsque les législateurs et lobbyistes de l’industrie s’en mêlent, les «honorables protections pour les créateurs» ont tendance à se transformer en «horrible tapochage sur les consommateurs». Creators Alliance a bien agi en lançant une campagne de mots-clics pour rallier les fans de musique à sa cause; il faudra s’assurer que personne ne vienne saboter cette belle alliance à grands coups de cupidité mal placée.
- Avant de faire la guerre à Spotify, les artistes devraient peut-être fouiner dans les livres de comptes de leurs propres maisons de disques, qui gardent l’essentiel des revenus de la diffusion en ligne pour elles, tout comme la RIAA gardait les revenus des poursuites plutôt que de verser l’argent aux artistes dont les droits d’auteur avaient été lésés. L’ennemi des artistes n’est pas toujours celui qu’on pense.
- Et surtout : la prochaine fois, assurez-vous d’enfermer Kanye West à double tour au préalable, ligoté et baîllonné dans un huitième sous-sol, AVANT de lancer votre campagne de sympathie auprès du public. Parce que se faire rappeler qu’on appuie une cause qui pourrait entasser encore plus de billets de banque dans les poches de ce triste personnage, ben, c’est quasiment assez pour donner envie de pirater de la musique.