Candy Crush et le Tetris Effect

Mes grands-parents maternels ont été les premiers de la famille à posséder un Nintendo. C’est chez eux que j’ai découvert le pouvoir de la manette et l’étrange extase ressentie en délivrant une princesse qui avait le même prénom qu’un personnage de Clue (Peach).

J’adorais me faire garder par mes grands-parents. On passait des heures, grand-papa et moi, à nous livrer une bataille amicale devant sa vieille télé, lui sous les traits de Mario, moi sous ceux de Luigi, afin de mettre Bowser KO et remporter les honneurs. Le gagnant avait le premier choix de Jell-O, servi dans une coupe en plastique givré avec des cerises au marasquin au fond et un tas de crème fouettée sur le dessus, gracieuseté de grand-maman. Le bon temps.

J’avais classé le jeu dans la même catégorie que les Farmville, Mafia Wars et autres créations Zynga : une perte de temps et un incitatif à unfriender toute personne à l’orgueil et au jugement atrophiés qui oserait m’inviter à la rejoindre dans sa pathétique vie parallèle.

Mes parents ne partageaient pas cet enthousiasme et ont refusé de m’offrir, pour Noël ou pour mon anniversaire, «ou pour les deux, tsé, ça compterait pour les deux, pleeeease!», le fameux Nintendo dont je rêvais. Ils ont plutôt préféré m’acheter un Socrates,  la console plate sur laquelle on pouvait jouer au Bonhomme Pendu ou résoudre des équations. Gros fun sale. (Remarquez, j’ai quand même passé des heures à maudire la lenteur du système et à pester contre le robot qui ressemblait à Johnny 5 dans Cœur Circuit)

Tetris, ma mauvaise fréquentation d’enfance

Mon grand-père paternel a mis fin à ma terrible souffrance (allez, on se permet un peu de drama) en m’offrant un Game Boy le Noël suivant. Sans le savoir, il venait de créer un monstre. Le Game Boy, vous vous en souvenez, venait avec la cartouche Tetris. En quelques semaines, je suis devenue totalement accro à ce petit jeu qui, pour les non-initiés, peut sembler bien inoffensif. Trente ans après sa conception, il demeure un incontournable pour les gamers du monde entier. Mais pour la petite fille de 9 ans que j’étais, Tetris était tout simplement une drogue. Assez puissante pour que je fasse semblant d’avoir la gastro afin de rester seule à la maison et accéder au niveau suivant.

À l’adolescence, j’ai mis fin à ma dépendance à Tetris et me suis tournée vers des drogues plus populaires au sein de mon groupe démographique. Faut dire que les partys de sous-sol auraient été pas mal moins enlevants si mes amis avaient crié «Eille! J’ai la version 3D de Tetris dans mon sac à dos!» plutôt que «Eille, j’ai piqué une bouteille de Captain Morgan à mon père pis Marc a un fond de Goldschläger!» Enfin, bref.

Je pensais naïvement que ma période Tetris était derrière moi, que notre relation malsaine était chose du passé. C’était sans compter l’avènement de Facebook et surtout, SURTOUT, sur cette terrible bête dévoreuse de temps et d’énergie, l’infâme Candy Crush.

Candy Crush m’a tuer1

Même si l’application Candy Crush sévit sur Facebook depuis 2012, je n’y avais pas porté attention jusqu’à tout récemment. J’avais classé le jeu dans la même catégorie que les Farmville, Mafia Wars et autres créations Zynga : une perte de temps et un incitatif à unfriender toute personne à l’orgueil et au jugement atrophiés qui oserait m’inviter à la rejoindre dans sa pathétique vie parallèle.

J’ai donc énormément de difficulté à m’expliquer ce qui s’est passé, le 23 décembre dernier. Ennui, solitude, magie des Fêtes? Je l’ignore. Toujours est-il que le 23 décembre dernier, j’ai téléchargé Candy Crush sur mon iPhone. Oh, la belle erreur! Depuis, je valse entre les sacres et les cris de victoire, tout mon système de valeurs est à revoir, je ne me reconnais plus. Ou plutôt si, je me reconnais. Je me reconnais à 9 ans, les yeux rivés sur l’écran de mon Game Boy, les pupilles dilatées, convaincue que mon bonheur, mon salut, ma vie, que diable!, dépendaient d’une grande barre ou d’un Tetrimino Gamma.

Même si les deux jeux partagent plusieurs points communs, Candy Crush me semble encore plus pernicieux que Tetris. Parce que voilà, l’application permet de voir à quel niveau se trouvent nos amis Facebook. Et de la comparaison naît la compétition. Et moi, la compétition, ça me rend agressive. Comment est-ce possible que A., qui est pourtant loin d’être une lumière en général, ait réussi à se hisser au niveau 172 alors que je me démène comme une diablesse dans l’eau bénite depuis deux jours pour clancher le niveau 58? Suis-je plus stupide que je ne le croyais? Ai-je raté ma vie? Autant de questions sans réponses qui m’assaillent, tandis que j’attends une nouvelle vie Candy Crush, LA nouvelle vie qui changera tout et qui me permettra de prouver que mon existence n’est pas vaine.

Je dois me rendre à l’évidence, j’ai renoué avec mes vieux démons et avec le fameux Tetris Effect. Ce dernier affecte les personnes qui consacrent énormément de temps et d’attention à une activité, assez de temps pour que celle-ci se mette à modeler leurs schémas mentaux, leurs pensées, et même leurs rêves. Comme il l’a été du jeu qui a donné son nom au syndrome dont j’ai souffert sans le savoir durant ma jeunesse, mon cerveau est maintenant esclave de Candy Crush. Je pense en alignement de couleurs, je rêve de péter des carrés de chocolat, j’envisage ma vie en termes  de boosters et de Sugar Crush.

31 ans et si vulnérable. On dit que le premier pas vers la guérison est l’acceptation de la maladie. J’ai donc bon espoir de mettre fin à ma dépendance d’ici quelques mois. Quand j’aurai clanché le niveau 200, mettons.

1. Ne criez pas à l’horrible faute, c’est une référence au célèbre fait divers. Révisez vos classiques.

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