Quand l’Internet participatif dérape encore plus que d’habitude

The Verge ferme les commentaires pour l’été, excédé par les trolls. Reddit est (encore) au bord de la crise de nerfs. Y a-t-il un remède pour les maux du Web 2.0, ou bien devrait-on se résoudre à l’euthanasier?

Lundi dernier, le blogue techno-et-bien-plus The Verge annonçait qu’il fermait son système de commentaires, infesté par des hordes de trolls, de troglodytes et d’enragés en tous genres.

Dans les faits, on peut s’attendre à ce que la fermeture temporaire soit suivie d’une fermeture permanente deux semaines après la réouverture. Mais on salue tout de même leur optimisme.

Officiellement, il s’agit une mesure temporaire, le temps que les pires énervés se calment, et les éditeurs de The Verge se réservent le droit de rétablir les commentaires pour certains billets à l’occasion. Dans les faits, on peut s’attendre à ce que la fermeture temporaire soit suivie d’une fermeture permanente deux semaines après la réouverture, lorsque les éditeurs constateront que le comportement des trolls n’aura pas changé une miette. Mais on salue tout de même leur optimisme.

Reddit aussi tente de se débarrasser de la frange la plus toxique de sa population en fermant ses sous-sections les plus louches – ce qui provoque exactement le genre de réactions que vous imaginez de la part des néo-néandertaliens qui ont élu domicile dans ces «trous de bouette» virtuels. Le fait que la PDG intérimaire de Reddit soit nulle autre qu’Ellen Pao, qui s’est attiré les foudres de tout ce qu’il y a de misogyne sur Internet en poursuivant son ancien employeur pour discrimination dans un procès hautement médiatisé, n’a sans doute fait qu’amplifier la réaction des excités.

Je pourrais continuer longtemps : pour chaque communauté plutôt sympa comme celle de Branchez-vous, il y a dix médias dont les sections de commentaires vous donnent envie de laver votre ordinateur à l’eau de javel.

Bref, le Web 2.0 est malade. Est-ce que ça se guérit? Probablement pas. Et je ne suis pas certain qu’on devrait essayer.

Bon, l’historien qui remonte encore dans le passé…

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À l’époque jurassique d’Internet, vers le milieu des années 1990, Richard Bartle – l’inventeur du premier MUD – disait déjà qu’une frange non négligeable des joueurs en ligne (entre 10 et 20%, si ma mémoire est bonne) n’était là que pour nuire à l’expérience des autres en tapant sur les newbies, en trichant, en abreuvant les canaux de clavardage d’insultes racistes ou de propagande religieuse, etc. Vous voyez le topo.

Or, à cette époque, la plupart des jeux en ligne coûtaient entre 3 et 6$ l’heure. Pour payer ce prix-là rien que pour embêter son prochain, il fallait vraiment être convaincu de son affaire. Faut-il s’étonner du déficit d’inhibitions qui empeste Internet maintenant que tout est gratuit?

Si on remonte encore plus loin dans la cyber-préhistoire, on peut aussi mentionner les forums de discussion de Usenet, qui étaient à peu près civilisés malgré les foires d’engueulades occasionnelles (flame wars) qui opposaient les plus grandes gueules. Jusqu’à ce que des petits comiques ne viennent tout foutre en l’air en inventant le spam, d’abord à des fins religieuses, puis à des fins commerciales. C’était en 1994. Un autre malcommode a ensuite eu l’idée de migrer le spam vers un nouveau médium : le courriel. Vous connaissez la suite.

Voici pourquoi je suis misanthrope

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Je le dis depuis 20 ans : le grand avantage d’Internet, c’est qu’il donne la parole à tout le monde, mais le grand désavantage d’Internet, c’est que ceux qui prennent cette parole ne sont pas toujours ceux qui devraient le faire. La réalité, c’est que les brutes et les agresseurs ne sont pas plus nombreux qu’autrefois, mais qu’Internet les rend plus efficaces en leur permettant de chercher des victimes partout sur la planète.

En 1975, le sociopathe moyen devait se contenter de ruiner l’existence de ses collègues de travail, de sa famille ou de ses camarades de classe – et il devait le faire «à la main», une victime à la fois.

Aujourd’hui, il peut industrialiser sa bêtise à peu de frais en démontrant tout son savoir-vivre sur les réseaux sociaux et sur les sites web des plus grands médias du monde. On n’arrête pas le progrès…

Et malheureusement, cette mondialisation de la trollitude constitue un problème que l’on ne peut pas résoudre de l’extérieur, parce que les trolls sont comme les punaises de lit : vous aurez beau en éliminer 99%, ceux qui restent sont tout à fait capables de «faire la job». C’est plate, mais c’est ça.

La question sans réponse

Est-ce que les bonnes discussions dans les commentaires des sites que vous gérez ou que vous visitez font plus de bien que les trolls ne font de mal?

Il faut donc se demander, à la lumière de cette faille incurable du Web 2.0, si ses bénéfices en valent la peine.

En termes bêtement commerciaux : est-ce que les revenus publicitaires additionnels que vous encaissez parce que les internautes visitent vos sites plus souvent s’ils peuvent les commenter suffisent à compenser pour les heures de travail perdues à modérer le vitriol?

En termes éthiques : est-ce que les bonnes discussions dans les commentaires des sites que vous gérez ou que vous visitez font plus de bien que les trolls ne font de mal?

The Verge a visiblement répondu «non» à au moins une de ces deux questions. Je vous souhaite sincèrement de pouvoir répondre «oui» au moins à la deuxième – et surtout, que tous ceux qui lisent vos interventions sur Internet aient envie de dire «oui» grâce à vous.

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