Faut-il vraiment tuer Facebook, Apple et Microsoft pour sauver la démocratie?

C’est Richard Stallman, le père fondateur du mouvement du logiciel libre, qui l’affirme dans une entrevue accordée au quotidien Le Devoir. L’affirmation est percutante, mais est-elle justifiée?

Cela ne surprendra personne : Richard Stallman, qui est de passage au Québec ces jours-ci, n’a pas grand-chose de bon à dire au sujet du logiciel privatif. On ne fonde pas la Free Software Foundation parce qu’on porte l’effigie de Bill Gates ou de Steve Jobs tatoué sur son sein gauche.

Mais lorsqu’il affirme que Facebook est une menace existentielle pour la démocratie et que les écoles ne devraient plus enseigner que le logiciel libre, faut-il le suivre jusqu’au bout? La question mérite qu’on y réfléchisse. Voici donc une chronique en deux parties qui s’intéresse à ces deux questions.

Première partie : Facebook et la vie privée, épisode 8753

Examinons d’abord la question des réseaux sociaux et de la vie privée. Oui, encore une fois.

Que Facebook soit d’abord et avant tout une régie publicitaire dont les «activités connexes» en tant qu’environnement de partage de contenu ne servent qu’à faire fructifier les données personnelles que l’on y laisse traîner, c’est incontestable. C’est d’ailleurs aussi le modèle d’affaires de Google, du réseau TVA, de Sports Illustrated, et probablement aussi celui de Twitter, pourvu que ses dirigeants soient capables de produire un modèle d’affaires cohérent.

Le paysage publicitaire, tel que reproduit dans le film They Live (Image : Universal Pictures).
Le paysage publicitaire, tel que reproduit dans le film They Live (Image : Universal Pictures).

Mais si on entre dans ce marché les yeux ouverts, il est bien difficile d’y voir une menace quelconque. Que Google étudie mes habitudes pour me proposer en première page des liens plus susceptibles de m’intéresser que les autres, c’est tant mieux. En fait, j’irais jusqu’à dire que je souhaiterais que Facebook m’espionne d’encore plus près. Ça lui éviterait peut-être de me montrer des pubs de couches (vasectomisé), de bagnoles (pas de permis de conduire), de crèmes de beauté (peine perdue) ou même – ark, ark, ark! – de me recommander de m’abonner à des pages in memoriam de gens que je n’ai jamais connus.

Si un recruteur nous refuse une entrevue d’emploi à cause de ce que l’on a écrit sur Facebook, ce n’est pas le site ou son algorithme le problème, mais plutôt la manière dont autrui interprète ce que l’on publie.

Et si l’on commet une bêtise, par exemple tweeter une photo compromettante nous montrant en train de faire des cochoncetés sur le photocopieur? Il faudrait être de bien mauvaise foi pour blâmer Twitter, à moins que ce ne soit Twitter qui ait commandité le bar ouvert du party de bureau. Même chose si un recruteur nous refuse une entrevue d’emploi à cause de ce que l’on a écrit sur Facebook ou si un gouvernement répressif décide d’arrêter tous ceux qui le critiquent sur un forum de discussion – ce n’est pas le site ou son algorithme le problème, mais plutôt la manière dont autrui interprète ce que l’on publie.

Bref, comme c’est souvent le cas, la menace ne provient pas de la technologie, mais de l’humanité à l’autre bout.

Ce qui est beaucoup plus menaçant, c’est lorsqu’un réseau social ou un autre service tente de me manipuler en décidant à ma place de ce que je veux voir ou pas, en fonction de critères secrets qui peuvent très bien être les intérêts d’une tierce partie. «Tiens, bonhomme, au lieu de la photo de chat publiée par ta cousine, regarde ça : c’est bon pour toi, je te le jure!»

Et ça, on appelle ça comment? 

Dans le meilleur des cas, on appelle ça de la publicité, justement. Si les réseaux sociaux en détenaient le monopole, ils seraient bien contents. 

Dans le pire des cas, il s’agit plutôt de censure ou de propagande, mais encore là, c’est un phénomène généralisé : pour chaque photo d’allaitement stupidement censurée par Facebook au nom de la pudibonderie américaine, combien d’heures de couverture médiatique gratuite offertes à Donald «Drumpf» Trump et à ses âneries, un nombre qui dépasse de loin ce que les grands médias consacrent à ses adversaires politiques?

S’il fallait condamner les réseaux sociaux privés au nom de la démocratie, il faudrait aussi condamner pas mal de monde. Ce serait peut-être mérité, mais ça ne risque pas de se produire.

Deuxième partie : Vertus et limites du logiciel libre

J’aime le logiciel libre. Quand j’ai le choix entre deux produits qui font sensiblement ce dont j’ai besoin, j’ai tendance à choisir le produit libre, ou à tout le moins celui qui est développé par une PME sympa, plutôt que le truc qui sort de chez Gros Capitaliste Féroce Inc. 

opensource

Je crois aussi aux vertus du libre en matière de vie privée et de sécurité. Si le FBI fait des pieds et des mains pour forcer Apple à lui aménager une porte dérobée dans iOS, c’est parce qu’Apple en contrôle le code source et qu’il est donc possible d’appliquer de la pression à un endroit précis pour obtenir les résultats que les policiers recherchent. Tenter la même opération dans le cas d’un logiciel libre dont quelques centaines de milliers de personnes ont téléchargé le code sur GitHub, ce serait une autre paire de manches.   

Je serais même tenté de suivre la proposition de Stallman et de n’employer que du logiciel libre dans les écoles et dans les organismes gouvernementaux. Ne serait-ce que parce que le rapport qualité-prix serait sûrement meilleur et que l’on ne serait plus à la merci d’une «boîte noire» au comportement hors de notre contrôle collectif.

Les partisans du libre ont tendance à surestimer le nombre de personnes qui ont le temps, la volonté et la capacité de faire ce travail. C’est normal : le libre est une affaire de geeks, et nous croyons avec raison que tout le monde devrait être comme nous!

Mais il faut aussi être conscients des limites du libre. Tous les logiciels, libres ou non, sont développés par des programmeurs faillibles. OpenSSL, dont les défauts de conception ont provoqué quelques paniques sur Internet, est un logiciel à code ouvert. 

Et bien que l’attrait principal du libre soit que tous ceux qui le désirent peuvent fouiner dans le code pour l’améliorer, et non pas seulement les employés d’une compagnie quelconque, les partisans du libre ont souvent tendance à surestimer le nombre de personnes qui ont le temps, la volonté et la capacité de faire ce genre de travail. C’est normal : le libre est (pour le moment?) une affaire de geeks, et en tant que geeks nous croyons avec raison que tout le monde devrait être comme nous! 

Dans un monde idéal, le libre permettrait de produire du logiciel de meilleure qualité et de corriger les bogues plus vite. Dans la réalité, c’est plus compliqué. D’un côté, développer et maintenir un «gros» logiciel libre ressemble beaucoup à développer et maintenir un «gros» logiciel propriétaire, et lancer toujours plus de programmeurs dans la mêlée n’est pas forcément la meilleure chose à faire ni dans un cas, ni dans l’autre. D’autre part, les «petits» projets de logiciels libres sont souvent l’affaire de petites équipes de bénévoles qui s’attaquent à des problèmes qui les intéressent, et l’intersection entre «les problèmes qui les intéressent» et «les bogues qui vous rendent la vie impossible» peut fort bien être l’ensemble vide.

Il n’y a pas de solution parfaite en ce bas monde.

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