Vous vous connectez à Facebook et tombez sur le statut ridicule d’une personne que vous appréciez déjà plus ou moins. C’en est trop. Vous entamez la rédaction d’un commentaire assassin, mais, dans un éclair de sagesse plutôt rare à ces heures indues, effacez le tout avant d’appuyer sur «Publier». Si votre ami ne lira jamais votre commentaire, ne croyez pas pour autant qu’il n’a pas été enregistré. Facebook veille et emmagasine tous vos brouillons, comme le confirme un récent article de Sauvik Das et Adam Kramer, un doctorant à l’université Carnegie Mellon et un spécialiste de données chez Facebook.
C’est quand même génial, les réseaux sociaux. Vous pouvez former et exprimer clairement une pensée AVANT de la partager. On a rarement, sinon jamais, ce luxe-là en personne.
Le dernier filtre
Les auteurs de Self-Censorship on Facebook ont travaillé sur les données de près de 4 millions d’utilisateurs anglophones de la célèbre plateforme sociale, du 6 au 22 juillet 2012. Au cours de cette période, plus de 7 utilisateurs sur 10 avaient supprimé une publication avant de la poster, s’adonnant ainsi à l’autocensure.
C’est quand même génial, les réseaux sociaux. Vous pouvez former et exprimer clairement une pensée AVANT de la partager. On a rarement, sinon jamais, ce luxe-là en personne. Alors, qui filtre à dernière minute le fond de sa pensée, et quel fond exactement?
L’analyse comportementale révèle que les hommes se censureraient davantage que les femmes, et que les plus grandes «victimes» seraient les statuts et les publications destinées à un groupe particulier. Les utilisateurs ayant un bassin d’amis très diversifié en âges et en affiliations politiques se censureraient moins que les autres, en général. C’est facilement compréhensible : plus votre public est varié, moins vous risquez de provoquer l’ire de l’ensemble de vos contacts en publiant un statut controversé ou en partageant un article sujet à débat.
S’en laver les mains et s’en aller en sifflant
Le contenu autocensuré ne serait pas transmis sur les serveurs de Facebook. Le réseau social enverrait plutôt à votre navigateur un code qui analyse automatiquement tout ce que vous tapez dans une boîte de texte, et votre navigateur renverrait ces données au réseau social. Même si Facebook assure ne recevoir qu’une information statistique (si oui ou non il y a eu autocensure), il est techniquement possible d’avoir accès au contenu autocensuré, selon Jennifer Golbeck, directrice du Human-Computer Interaction Lab et auteure de Analyzing the Social Web, paru en mars dernier. D’ailleurs, Das et Kramer concluent leur étude en évoquant la nécessité d’analyser la nature et les raisons de l’autocensure sur Facebook. Tsé.
On devine facilement l’intérêt de Facebook derrière cette quête de renseignements plutôt douteuse : sous prétexte de mieux servir ses utilisateurs, l’entreprise cherche toujours de nouveaux moyens pour collecter davantage d’information à revendre aux publicitaires. «Méfie-toi toujours des affaires gratis, c’est celles qui finissent par coûter le plus cher», disait mon grand-père dans sa grande sagesse.
Et ce qui est encore plus douteux, c’est qu’on n’a jamais averti clairement les utilisateurs de cette pratique de collecte. Mais puisqu’un Facebookien averti en vaut deux (ou plus), je vous suggère cette très facile alternative à l’autocensure : si l’envie (ou la fatigue, ou l’alcoolémie, ou que sais-je encore) vous prend de rédiger un statut controversé ou un commentaire vitriolique, écrivez-le d’abord à la main ou dans Word. Attendez dix minutes. Relisez-vous. Si vous pouvez vivre en paix avec ses conséquences, publiez-le. Sinon, vous savez quoi faire.