Jeux vidéo, Uber, MP3 et autres menaces fantômes

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La semaine dernière, je vous parlais de mes attentes envers la stratégie numérique que le gouvernement du Québec est en train d’élaborer, notamment parce que l’absence d’une telle stratégie numérique a laissé certains secteurs de l’économie en mauvaise posture. Des facteurs externes de nature à moitié technologique et à moitié sociale, comme Uber pour l’industrie du taxi et Airbnb pour les hôtels, sont venus perturber des industries qui n’étaient déjà pas toujours solides-solides et provoquer des crises qui, dans certains cas, ont déjà commencé à mal tourner.

Puis, il y a quelques jours, cet excellent billet de Chris Kohler publié dans Wired m’a rappelé que le jeu vidéo avait vécu sa propre crise existentielle il n’y a pas si longtemps, et que cette crise semble avoir disparue d’elle-même. Les circonstances ne sont pas du tout les mêmes, mais il vaut quand même la peine d’y réfléchir un peu, histoire de spéculer sur les pistes de solution que la stratégie numérique du Québec devrait envisager (ou pas).

Crise? Quelle crise?

Cette crise du jeu vidéo, c’était l’hystérie des grands éditeurs au sujet de la revente de jeux usagés qui allait tuer l’industrie, envoyer tous les développeurs au chômage et réduire notre avenir collectif à un néant plus néantesque que le cerveau d’un zombie qui vient de passer 48 heures à jouer au football sans casque. 

Un magasin avec un mur de jeux usagés (Photo : Dallas News).
Un magasin avec un mur de jeux usagés (Photo : Dallas News).

Vous vous souvenez de cette guerre de propagande entre les grands éditeurs et les chaînes de détaillants qui acceptaient de donner un crédit sur la vente d’un produit à leurs clients en échange des jeux qu’ils avaient finis? Plus personne ne s’en plaint maintenant, du moins, pas à haute voix sur la place publique.

Pour résumer l’argument de Kohler, qui mérite amplement que vous alliez le lire en entier si vous avez deux minutes, l’industrie s’est ajustée de trois manières. 

  • Premièrement, en se rendant compte qu’elle n’avait aucune chance de gagner quand Microsoft s’est couverte de ridicule en tentant de lier les disques de jeux Xbox One à une seule machine.
  • Deuxièmement, en vendant de plus en plus de produits par téléchargement, ce qui contourne le problème puisque revendre un téléchargement n’est souvent pas commode et/ou illégal.
  • Troisièmement, en poussant tellement sur les passes de saison numériques et les bonus «pay to win» que la source principale de revenu d’un jeu n’est plus forcément sa vente initiale, mais plutôt ces machins supplémentaires; la provenance du jeu de base, acheté neuf ou usagé, n’a donc plus tellement d’importance.

Autrement dit, ce qui semblait constituer une menace existentielle il n’y a pas si longtemps a été presque complètement désamorcé.

Faire face à la musique

Or, ce n’est pas la première fois qu’une industrie culturelle doit faire face à une révolution et que sa première réaction est de paniquer, avant qu’une couple de petits brillants ne trouvent une manière de transformer la menace en alliée ou tout au moins de la neutraliser.

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Les MP3 devaient tuer l’industrie de la musique? Ben, non! Les chansons individuelles à 99¢ sur iTunes et les services de diffusion en flux continu sur Internet l’ont rescapée, du moins du point de vue des entreprises.

Il est normal que la première réaction à une menace venue du champ gauche soit de paniquer. Mais il est aussi normal que la seconde réaction soit d’y trouver une parade.

Pour les artistes, il a fallu autre chose : avant, ils partaient en tournée pour soutenir les ventes d’un disque, maintenant ils lancent un disque pour susciter de l’intérêt envers leurs tournées, et les prix des billets de spectacle ont quintuplé.

Le magnétoscope et le DVD devaient tuer le cinéma? Ben, non! Les opérateurs ont construit des salles IMAX et des expériences VIP, ils gardent les films moins longtemps à l’écran pour inciter le public à aller les voir plus vite et à revenir plus souvent, et ils ont multiplié l’offre de malbouffe appétissante pour encaisser plus de revenus que jamais par visiteur.

Netflix devait tuer la télévision par câble? Euh… Là, j’avoue que c’est peut-être un mauvais exemple. Quoique les grands de la télé tentent de sauver leurs peaux en offrant des services à volonté similaires comme CraveTV, TOU.TV et Shomi, en ne comptant pas la bande passante consommée par leurs propres offres de contenu sur leurs propres réseaux cellulaires (une tactique qui pourrait cependant être déclarée illégale), et en dépensant des fortunes pour obtenir les droits sur des événements sportifs qui n’ont aucun intérêt à être vus autrement qu’en direct.

Bref, il est normal que la première réaction à une menace venue du champ gauche soit de paniquer. Mais il est aussi normal que la seconde réaction soit d’y trouver une parade. Une parade qui ne ramène pas le statu quo d’antan et qui laisse parfois des traces, mais qui permet de construire un nouvel équilibre plutôt que de mettre le feu partout.

Uber est-elle aussi une menace fantôme?

Je l’ai dit la semaine dernière : réparer un modèle d’affaires brisé, c’est un problème d’ingénierie industrielle. Le rôle de la stratégie numérique du gouvernement devrait consister à donner le coup de pouce nécessaire à ceux qui en ont besoin pour régler leurs propres problèmes.

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Prenez la foire d’empoigne entre l’industrie du taxi et Uber, par exemple. Tous ceux qui connaissent le moindrement l’industrie du taxi à Montréal vous diront que son modèle d’affaires n’a pas d’allure. Acheter un permis coûte les yeux de la tête. Qu’un chauffeur achète le sien ou qu’il loue la voiture de quelqu’un d’autre qui l’a fait à sa place, ses frais fixes sont tellement élevés qu’il doit travailler des heures de fou rien que pour en venir à bout, sans avoir la moindre garantie de rentrer à la maison avec un revenu décent parce qu’il est à la merci de clients trop rares ou de courses trop courtes. Et bien sûr, avant d’entretenir le véhicule, il faut manger et payer le loyer, d’où trop de bagnoles en triste état.

Est-ce que la solution de l’industrie du taxi à Uber, c’est un modèle comme celui de Teo, avec des véhicules électriques soignés aux petits oignons, une application aussi efficace que celle d’Uber, des chauffeurs payés à salaire qui n’ont pas intérêt à prendre des risques avec les vies de leurs clients pour réduire la durée d’un trajet, et du Wi-Fi gratuit à bord? Peut-être que oui, peut-être que non. Mais ça semble prometteur, et si ça ne marche pas, quelqu’un d’autre essaiera autre chose. Ça ne sera plus comme avant, mais ça sera peut-être mieux.

Qui sera le prochain?

Qui aurait pensé, il y a dix ans, qu’on se battrait pour aller reconduire des étrangers chez eux ou pour leur louer nos appartements pendant nos vacances?

Et ça ne fait que commencer, parce qu’il y aura d’autres nouveautés qui viendront perturber la quiétude d’autres industries, c’est certain. Qui aurait pensé, il y a dix ans, qu’on se battrait pour aller reconduire des étrangers chez eux ou pour leur louer nos appartements pendant nos vacances? Un de ces jours, quelqu’un trouvera une manière efficace de louer sur Internet les outils qui traînent dans nos garages, d’échanger nos restants de souper ou de s’organiser des partys de yoga à domicile à la dernière minute. Ce jour-là, les quincailleries, les restos et les gyms vont avoir des sueurs froides.

Ou peut-être que ce sera l’inverse, et qu’un disrupteur du passé se rendra compte que le bon vieux modèle d’antan avait du bon, après tout. Paraît même qu’Amazon pourrait ouvrir de 300 à 400 magasins physiques

Ça aussi, ça devrait déranger bien du monde.

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