Le poète américain John Godfrey Saxe disait que les lois, tout comme les saucisses, inspirent de moins en moins de respect lorsque l’on apprend la manière dont on les fabrique. Et quand la bouette législative conçue pour une autre époque est assaisonnée de nouvelles technologies que les législateurs comprennent mal (ou qu’ils ont intérêt à ne pas comprendre), le résultat est rarement très ragoûtant.
Aujourd’hui, je vous présente un cas où l’aspect «gris» du système légal inspire un malaise; un autre où des intérêts puissants tentent d’exploiter le processus législatif pour arrêter le temps; et un rare exemple où tout fonctionne exactement comme on pourrait le souhaiter.
Le juge
Nous parlons (trop) souvent de brevets, de poursuites et de trolls. Désolé : il faut en parler encore aujourd’hui.
Si vous fréquentez souvent Branchez-vous, vous savez que nous parlons (trop) souvent de brevets, de poursuites et de trolls. Désolé : il faut en parler encore aujourd’hui.
Parce qu’au Texas, un juge qui a supervisé quelque 1 700 procès en violation de droits d’auteur au cours des 13 dernières années a récemment annoncé qu’il allait prendre sa retraite pour se joindre à un cabinet d’avocats qui est justement spécialisé dans les procès en violation de droits d’auteur.
C’est au moins la troisième fois qu’un événement du genre se produit aux États-Unis au cours des dernières années. Et on ne peut que ressentir un malaise.
Bien sûr, il faut bien que les gens gagnent leurs vies, et ce futur ex-juge a manifestement toutes les qualités requises pour remplir son nouveau poste.
Mais être juge constitue une responsabilité spéciale, même dans un bizarre de pays où plusieurs magistrats sont élus, ce qui a récemment inspiré un numéro cinglant à l’indispensable John Oliver. Admettrait-on qu’un arbitre de la Ligue nationale de hockey soit nommé entraîneur-chef des Maple Leafs de Toronto? Ne remettrait-on pas immédiatement en question toutes les décisions que cet arbitre aurait prises lors de matches des Leafs au cours de l’année précédente? Des cinq années précédentes?
Sans parler du fait qu’une expansion du cabinet d’avocats qui administre déjà le plus grand nombre de procès en droits d’auteur aux États-Unis ne peut rien annoncer de bon.
Le vendeur de chars
Les concessionnaires d’automobiles n’aiment pas Tesla, le manufacturier de véhicules électriques fondé par Elon Musk. Pourquoi? Parce que Tesla aime vendre ses voitures directement au public, dans des magasins corporatifs. Une concurrence que les concessionnaires jugent déloyale, ou du moins malvenue.
Des associations de concessionnaires tentent donc, avec un niveau de succès très variable, de faire bannir les ventes directes (et donc Tesla) dans divers États américains. Parce que, malgré tous les discours sur la beauté du capitalisme et du libre marché, s’il y a une chose que le propriétaire d’entreprise moyen déteste encore plus que les taxes, c’est bien la concurrence.
Louche? Sans doute. Mais cette semaine, le conflit d’intérêt est encore plus flagrant parce que c’est la Virginie-Occidentale (West Virginia) qui a officiellement adopté une loi interdisant les ventes directes de véhicules. La Virginie-Occidentale, dont le Sénat est présidé… par un concessionnaire d’automobiles.
Le gars s’est abstenu de voter sur le projet de loi, l’issue du vote étant assurée. Mais on imagine facilement les séances de tordage de bras ou de promesses de grattage de dos mutuel qui se sont déroulées derrière des portes closes. On ne devient pas président du Sénat d’un État américain sans être un expert dans ce genre de choses.
Le truand
Mais il n’y a pas que de mauvaises nouvelles. Kevin Bollært, le fondateur d’un hideux site web de revenge porn où des individus sans scrupules publiaient les photos de leurs ex-conjoint(e)s nu(e)s – et où les victimes devaient débourser jusqu’à 350$ pour que leurs propres photos soient retirées du site – a été condamné à 18 ans de prison.
Peut-on espérer que ce genre de châtiment donnera à réfléchir aux innombrables trolls qui empoisonnent la vie des gens sains d’esprit dans les jeux en ligne ou les sections de commentaires de YouTube? Bien peu probable. Mais pour une fois que quelqu’un qui mérite un châtiment exemplaire le reçoit, on ne se privera pas de notre plaisir.
Quand le présent et le passé ne se parlent plus
On le dit souvent : le système des brevets, conçu à une autre époque pour favoriser l’innovation, a tellement été perverti qu’il fait exactement le contraire de nos jours. Et quand une nouvelle loi est adoptée spécifiquement pour protéger des intérêts établis et vaguement réactionnaires contre la nouveauté, on ne peut que regretter que les jeunes technophiles ne soient pas plus nombreux parmi les élus – et parmi les électeurs.
Il faudra bien réconcilier le présent, le passé et le futur un de ce jours. Vous avez des idées, vous?
La réalité, c’est que le monde bouge vite mais que ses institutions n’arrivent pas à suivre. Notre société ne sait pas comment réagir face aux trolls en tous genres; elle ne sait pas plus comment répondre à UberX, à une sous-culture de ti-culs de 13 ans qui envoient l’escouade tactique chez des étrangers pour rigoler devant leurs webcams, ou à des cryptomonnaies émises par on ne sait trop qui. «DOES NOT COMPUTE», comme dirait mon vieux 486DX.
Pourtant, il faudra bien réconcilier le présent, le passé et le futur un de ce jours. Vous avez des idées, vous?