On se dit que ça ne durera pas, que passés les premiers mois (et émois) de la relation, ces statuts vont disparaître et que notre amie va renouer avec son ton blasé, ses jokes irrévérencieuses et ses montées de lait contre les photos retouchées dans les magazines féminins. Malheureusement pour nous, certaines personnes semblent ne jamais renouer avec la santé mentale, au grand détriment de la nôtre.
Pour le bien de cette chronique, j’ai enfin osé googler Chariot Blanc. Je vous laisse le plaisir de découvrir ces dictées intuitives visant à «créer le passage vers la 6e, et même la 7e race» (?), et me limiterai à un facepalm bien senti. Mais pourquoi me suis-je embarquée dans cette idée de mariage étrange, et pourquoi si jeune? La réponse est extrêmement simple : j’étais follement amoureuse.
L’élu était grand, Polonais, timide et brillant. Il avait les cheveux couleur brou de noix et les yeux verts gazon brûlé. Le coup de foudre, le grand amour, la grosse affaire. Il a abandonné ses études à Sherbrooke et emménagé dans mon microappart de Côte-des-Neiges au bout de quelques semaines de relation. On ne voyait pas la baignoire usée, les moisissures au plafond, la laideur des blocs gris et beiges de l’avenue Decelles dans le bas de la côte, à côté du Maxi et du Harvey’s où y’avait eu un meurtre. On dormait collés dans mon lit simple d’enfance, on fumait nos cigarettes à deux, on splittait même nos bagels Fairmount pour manger chacun la moitié du même tout.
La grosse fusion sale. Dégoulinante de mièvrerie. Ça écœurait le monde, et je comprends aujourd’hui pourquoi, en partie grâce à Facebook. Aux couples quétaines sur Facebook.
Une surdose de sucre
On a tous une amie Facebook qui remplit notre fil d’actualité de statuts louangeant les qualités de son nouveau chum (appelons-le Mathieu) : «Math m’a amené le déjeuner au lit, y’est parfaaaaaait!», «Math a glissé un post-it avec un cœur dessus dans mon lunch! Aon!», etc.
Jusque-là, ça se tolère. C’est même plutôt cute. De toute façon, on se dit que ça ne durera pas, que passés les premiers mois (et émois) de la relation, ces statuts vont disparaître et que notre amie va renouer avec son ton blasé, ses jokes irrévérencieuses et ses montées de lait contre les photos retouchées dans les magazines féminins. Malheureusement pour nous, certaines personnes semblent ne jamais renouer avec la santé mentale, au grand détriment de la nôtre.
Aux statuts cutes s’ajoutent des messages destinés à l’autre, écrits d’abord sur le mur de la personne énamourée, puis réécrits sur le mur de Mathieu : «Aujourd’hui, ça fait 67 jours, 4 heures et 22 minutes que je t’ai rencontré Math, et tu es l’homme de ma vie. Luv.»
En moins de temps qu’il n’en faut pour crier «Assez!», on nous remet des passes backstage pour le festival du double selfie, et la programmation est assez redondante : Math et moi de proche, Math et moi de très proche, Math et moi qui mangeons un spaghetti meatballs comme dans La Belle et le Clochard, Math et moi habillés en mou devant La Belle et le Clochard, Math et moi déguisés en La Belle et le Clochard à l’Halloween. Le tout instagrammé en Valencia ou en Earlybird, question de donner un look rétro à la chose. «Regardez comme on dirait que ça fait trente ans qu’on est ensemble!»
Mes dents grincent, mes gencives se contractent, on dirait qu’un de mes 7 plombages vient de frencher un morceau de papier d’aluminium. Ou que je viens de m’enfiler 25 rouleaux de Rockets d’un coup. Pis moi, le sucre…
Au royaume des quétaines, le profil de couple est roi
Je pensais avoir vu toutes les manifestations de manque flagrant de jugement sur Facebook. Honte à moi, c’était mal connaître mon réseau social préféré, qui ne cesse de rivaliser d’imagination pour me faire saigner des yeux. Ma dernière hémorragie oculaire a été provoquée par la découverte de profils de couples. Oui, des profils de couples. Comme dans «Mathieu et moi avons le même profil, après tout on est un couple, pas besoin d’avoir chacun notre profil». Outre la codépendance évidente qu’un tel comportement met en scène, c’est l’annihilation de l’individualité de chacun des deux membres du couple fusionnel qui m’a fait crier : «Ben voyons donc! Euthanasiez-les quelqu’un!»
Si Facebook était un service payant, on pourrait comprendre que certains décident de se regrouper pour partager les frais. Mais ce n’est pas le cas. Le couple qui choisit de partager son profil fait une déclaration claire : ce sera nous deux, ou rien.
Par ailleurs, ce NOUS revendiqué qui prend toute la place limite les interactions avec l’un des deux amoureux : comment se confier à quelqu’un en sachant que nos messages risquent d’être lus par un Mathieu? Que chaque commentaire devra être pensé et soupesé pour deux, voire trois (le fameux NOUS)? Bonjour la spontanéité!
Y’a des maudites limites à s’oublier, et à oublier la définition de Facebook : un RÉSEAU SOCIAL. Pas un scrapbook de votre vie maritale, bonyenne!
Ce que votre liste d’amis Facebook révèle sur votre relation amoureuse
L’an prochain, le scientifique social de Facebook Lars Backstrom et le professeur de l’université Cornell John Kleinberg publieront une étude qui risque de s’avérer très intéressante. En analysant le réseau d’amis Facebook de plus d’un million d’utilisateurs identifiés en relation amoureuse sur leurs profils, les chercheurs croient pouvoir déterminer la durabilité de leurs couples.
Ce ne serait pas le nombre d’amis communs des partenaires qui garantirait la survie de la relation, mais plutôt l’effet de dispersion dans les différents cercles Facebook : ainsi, si votre amoureuse est non seulement amie avec votre gang de l’université, mais aussi avec votre mère, votre ex, votre collègue de travail et votre meilleur ami du secondaire, par exemple, votre couple aurait plus de chances de durer. Logique. Les chercheurs arriveraient même à «deviner» si vous êtes en couple même si vous n’avez pas affiché votre état civil sur votre profil.
Encouragez la recherche universitaire, cessez de vous rouler dans le sucre raffiné sur Facebook. Pour booster votre taux de glucose, y’a Pâques et l’Halloween.