Les fossoyeurs : le CRTC, la fin des quotas, et le coup de pelle dans la télévision

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Ah, le sacro-saint «marché plus ouvert et concurrentiel». C’est en son nom que le président du CRTC, Jean-Pierre Blais, a récemment annoncé l’abolition des quotas de diffusion de contenu canadien qui étaient imposés aux chaînes de télévision généralistes avant 18h. De 55%, la part assurée des émissions produites chez nous passera bientôt à 0%.

À moins que vous ne soyez l’actionnaire majoritaire d’une chaîne de télévision, cette annonce devrait vous donner envie d’aller prendre une solide brosse.

Dans le cas des chaînes spécialisées, la situation est plus complexe, et la réforme viendra faire un peu de ménage dans un capharnaüm réglementaire qui avait bien besoin d’être uniformisé. Mais la refonte des exigences se fera généralement à la baisse, elle aussi. On parle dorénavant de 35% d’émissions canadiennes partout, alors que les quotas allaient auparavant de 15% à 85% selon les cas.

À moins que vous ne soyez l’actionnaire majoritaire d’une chaîne de télévision, cette annonce devrait vous donner envie d’aller prendre une solide brosse.

Le rôle de la télé de jour

À première vue, le sort des émissions de télévision diffusées le jour devrait provoquer, tout au plus, un haussement d’épaules de la part des geeks qui visitent Branchez-vous. En effet, nous ne sommes pas exactement le public visé par les talkshows, les émissions de cuisine et les séries pour enfants qui sont diffusées pendant que nous sommes au boulot ou à l’école.

Mais si on y regarde de plus près, nous sommes quand même concernés.

D’abord parce qu’il y a des geeks qui vont perdre leurs jobs, comme les employés de production de MusiquePlus l’ont appris à leurs dépens deux jours après l’annonce du CRTC. Les caméramans, les monteurs, les recherchistes, les preneurs de son : j’en ai côtoyé beaucoup en huit ans de télé, et il y a pas mal de gens qui nous ressemblent dans le lot. On ne joue pas avec des machines ultra-sophistiquées toute la journée sans que ça déteigne.

Ensuite, parce que c’est souvent avec la télévision de jour, et notamment avec les séries jeunesse, que l’on commence une carrière dans les médias : moins de télé de jour maintenant, ça veut dire moins de 19-2 ou de Nerdz plus tard.

Berrof n'est clairement pas zen à l'idée que les quotas de contenus canadiens disparaissent (Image : Sphère Média Plus).
Berrof n’est clairement pas zen à l’idée que les quotas de contenus canadiens disparaissent (Image : Sphère Média Plus).

Et surtout, parce que l’argument du marché concurrentiel qui fera augmenter la qualité des productions en éliminant les paresseux qui se contentent du moindre effort parce qu’ils sont protégés par des quotas, c’est un mensonge.

Beau, bon, pas cher, vous dites?

Pour chaque émission qui se retrouve à l’antenne, il y en a dix qui moisissent dans les tiroirs des producteurs, faute de débouchés à l’antenne. Et pour une émission qui moisit dans les tiroirs des producteurs, il y en a dix qui ne se rendent même pas à cette étape, faute d’argent à investir dans le développement de concepts.

Des projets de qualité, il y en a. Des tonnes. L’abolition des quotas ne forcera pas les créateurs d’ici à être meilleurs : ils sont déjà bons, ils seraient encore meilleurs si on les laissait faire, et la raison pour laquelle on ne les laisse pas faire, c’est que vendre de la qualité est plus difficile que de vendre de la scrap.

La raison pour laquelle on ne laisse pas faire les créateurs d’ici, c’est que vendre de la qualité est plus difficile que de vendre de la scrap.

J’ai déjà parlé de ce problème au moment de la mise à mort de M. Net. Si vous êtes un diffuseur et que vous avez le choix entre dépenser 25 000$ pour produire une demi-heure de télévision locale de qualité (ce qui, croyez-moi, représente vraiment des pinottes) ou payer 500$ pour acheter les droits sur une kardashiannerie américaine doublée n’importe comment, vous achèterez la kardashiannerie. Parce qu’il est infiniment plus facile de rentabiliser de la cochonnerie, même avec un auditoire famélique, que de rentabiliser de la qualité qui coûte plus cher. Sinon, personne ne diffuserait jamais d’infopubs.

C’est ça, la clé du problème : si le prix est suffisamment bas, la qualité (ou son absence) n’a plus la moindre importance.

La porte de sortie est verrouillée de l’extérieur

Au mieux, l’abolition des quotas forcera les artisans d’ici à faire encore plus avec encore moins. Et si vous saviez tous les tours de passe-passe auxquels il faut déjà s’adonner maintenant…

Au pire, on se retrouvera avec des Jerry Springer sous-titrés toute la journée – et on reviendra bientôt à la «belle époque» où c’étaient Dynastie et CHiPs qui dominaient la télé québécoise à heure de grande écoute. Parce que si le CRTC a maintenu les quotas en soirée pour le moment, rien ne garantit que l’abolition des quotas le jour entraînant la mise à mort d’une bonne partie de l’industrie de la production, la pression ne se fera pas sentir dans ce créneau-là aussi.

CHiPs, le 19-2 du début des années 80, en moins bon (Image : MGM Television).
CHiPs, le 19-2 du début des années 80, en moins bon (Image : MGM Television).

«La télévision n’a plus d’importance, tout se passe sur le Web», me direz-vous. Oui, à condition de vouloir tout faire bénévolement. Combien de personnes au Québec gagnent leurs vies en créant du contenu sur YouTube ou sur Twitch? Cinq? Dix? Sûrement pas 100. Pas parce que la qualité manque : parce que personne ne paie, qualité ou pas.

J’aimerais bien avoir une solution à vous proposer, mais je n’en vois aucune.

Quand j’ai arrêté de faire de la télé pour étudier l’histoire à temps plein, je n’aurais jamais pensé que je faisais un bon choix de carrière.

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