Si un quart de nos concitoyens sont prêts à accomplir des exploits héroïques pour payer avec leurs cellulaires, les autres s’agrippent résolument à l’arrière-garde de la technologie.
Au début d’octobre, PayPal Canada publiait les résultats d’un sondage selon lequel 45% des Canadiens sont prêts à effectuer des paiements avec leurs téléphones ou avec leurs éventuelles montres intelligentes. La moitié de ces enthousiastes (23%) ont même déjà payé des achats dans des magasins de brique et de mortier avec leurs téléphones – ce qui représente tout un exploit quand on considère qu’une minorité de téléphones sont dotés de puces NFC, que les institutions financières n’ont pas encore standardisé le processus, et que les détaillants ne sont pas particulièrement pressés de se jeter dans un pareil fouillis.
Alors, aux oubliettes la Visa et la MasterCard?
Pas si vite. Parce qu’en matière d’enthousiasme envers le paiement par cellulaire, une autre étude récente démontre que les Canadiens se classent bons derniers parmi les 17 pays étudiés. Si un quart de nos concitoyens sont prêts à accomplir des exploits héroïques pour payer avec leurs cellulaires, les autres s’agrippent résolument à l’arrière-garde de la technologie.
Comment expliquer cette apparente contradiction?
Trop de moyens de payer, c’est comme pas assez
Considérons d’abord la pléthore de moyens de paiement simples et efficaces qui sont déjà disponibles chez nous.
Le paiement-contact par carte de crédit et par carte de débit offre essentiellement les mêmes avantages que le paiement par Apple Pay ou par un autre service similaire. De nombreuses chaînes de magasins offrent leurs propres services de crédit. On peut payer nombre de factures récurrentes par prélèvements préautorisés, ce qui réduit d’autant les occasions où l’on aurait besoin de sortir son téléphone pour autoriser des versements. En ville, il y a des guichets automatiques à tous les coins de rue – et on ne risque pas de se faire hacker un billet de 20$ quand on paie comptant.
Bref, on est loin de la situation qui prévaut au Kenya, où un quart du produit intérieur brut transite par le système de paiement mobile M-PESA , notamment à cause d’une pénurie chronique de numéraire dans les campagnes. Rares sont les occasions où l’on peut légitimement se lamenter en gémissant : «Ah, si seulement je disposais de plus de moyens de payer», n’est-ce pas?
La guerre, la guerre, c’est pas une raison pour se faire mal
Difficile aussi de blâmer les consommateurs qui n’ont pas envie de se mettre le nez dans les batailles que se livrent les institutions financières, les géants de la technologie et les grands détaillants pour s’emparer du marché des transactions électroniques.
Il y a déjà belle lurette que les détaillants pestent contre les frais que leur imposent les émetteurs de cartes de crédit. Certains voudraient récupérer ces sommes en imposant leur propre solution de paiement électronique et ont déjà bloqué Apple Pay dans leurs établissements aux États-Unis.
Autrement dit, c’est le bordel. Le standard universel qui rendra le paiement par téléphone aussi pratique et aussi no brainer que la carte de crédit n’est pas pour demain.
La sécurité
Enfin, comme vous le disait l’ami Benoît Gagnon en septembre dernier, la sécurité des cartes de crédit canadiennes est bien supérieure à ce que l’on retrouve aux États-Unis. Cette sécurité demeure bien sûr imparfaite, mais l’écart entre ce que l’on pourrait obtenir avec Apple Pay et ce dont on profite déjà n’est peut-être pas suffisant pour convaincre le consommateur moyen de changer ses habitudes.
D’autant plus que, en tant que consommateur, la protection contre les fraudes que nous offre la loi canadienne est plutôt solide – ce qui fait que la sécurité des cartes de crédit est d’abord et avant tout le problème des compagnies émettrices, pas le nôtre.
Par exemple : il y a quelques années, j’ai reçu un relevé de carte de crédit qui m’annonçait que j’étais l’heureux propriétaire de quelque 9 000$ de meubles achetés chez un détaillant de Toronto. Ma vieille carte à bande magnétique avait manifestement été clonée. Catastrophe? Non : une conversation de 5 minutes avec un enquêteur courtois, un formulaire à signer, et tout était réglé. Je ne veux même pas savoir ce qui se serait passé en pareilles circonstances si j’avais dû me frotter aux horreurs de l’industrie financière étatsunienne…
Conclusion
Les caractéristiques du marché canadien font en sorte que les avantages du paiement par téléphone sont moins évidents ici qu’ailleurs, et qu’il pourrait donc prendre plus de temps à s’implanter à grande échelle chez nous.
Il ne fait aucun doute que si le monde corporatif parvient à s’entendre sur des standards universels en matière de paiement par téléphone cellulaire, on finira bien par s’en servir. D’abord parce que l’industrie financière a tout intérêt à augmenter la sécurité des transactions et qu’elle nous poussera dans cette direction. Mais aussi parce que, comme toute nouvelle technologie, celle-ci se révélera éventuellement supérieure à toutes ses rivales dans certaines circonstances – que l’on puisse les imaginer maintenant ou non.
En attendant, les caractéristiques du marché canadien font en sorte que les avantages du paiement par téléphone sont moins évidents ici qu’ailleurs, et qu’il pourrait donc prendre plus de temps à s’implanter à grande échelle chez nous.
Pour une fois qu’un retard technologique canadien serait justifié par une raison positive!