Je sais, ce n’est pas bien de se réjouir du malheur d’autrui. Mais je fais une exception dans le cas des trolls. Ceux qui terrorisent des gens innocents sur Internet pour le lulz comme ceux qui inhibent l’innovation en multipliant les poursuites basées sur des brevets foireux.
Quand une mauvaise nouvelle s’abat sur ces gens-là, je me dis qu’ils ne font que récolter les coups de pied au derrière qu’ils ont semés dans leurs champs de karma. Et quand trois de ces mauvaises nouvelles arrivent coup sur coup, là, je retrouve presque ma foi en l’humanité. Presque.
Changement de garde au sommet
La première bonne nouvelle, c’est la nomination de Michelle Lee à titre de directrice du bureau américain des brevets et des marques de commerce. Pourquoi? Parce que Lee, qui semble jouir du soutien à la fois des démocrates et des républicains au Sénat qui doit entériner sa nomination, connaît à fond les problèmes de l’industrie de la technologie, ayant passé une quinzaine d’années dans la Silicon Valley, dont 9 ans à un poste de haute direction chez Google.
Or, les technos veulent réformer le système des brevets, qui fait la partie trop belle aux «entités non pratiquantes» et autres trolls qui ne font qu’acheter à vil prix la propriété intellectuelle d’inventeurs et s’en servir pour extraire des rentes sans rien produire d’utile.
Un projet de réforme qui viserait plus précisément les véritables trolls sans causer préjudice aux entreprises qui innovent vraiment, pourrait être bientôt adopté au Congrès américain. Quand on considère que jamais rien n’est adopté au Congrès américain, ce serait tout un exploit.
La nomination de Lee signale aussi la fin probable de l’opposition des toutes-puissantes compagnies pharmaceutiques, dont les efforts de lobbying avaient largement contribué à faire échouer les projets de réforme jusqu’ici. En effet, les pharmaceutiques sont parmi les principales bénéficiaires du système des brevets – et elles se méfiaient à juste titre d’une réforme tous azimuts qui aurait pu leur causer de graves problèmes. Une coalition antiréforme saluait la «compréhension nuancée» de la situation démontrée par Lee, ce qui laisse croire qu’un projet de réforme qui viserait plus précisément les véritables trolls, sans causer préjudice aux entreprises qui innovent vraiment, pourrait être bientôt adopté au Congrès américain.
Quand on considère que jamais rien n’est adopté au Congrès américain, ce serait tout un exploit.
Et un troll au tapis
Puis, un jury californien a rendu un verdict favorable à Apple dans un procès qui l’opposait à un troll qui, comme des dizaines de ses congénères, tentait d’extraire des royautés sur chaque iPhone ou iPad vendu. La poursuite déposée par le troll en question s’appuyait sur d’obscurs brevets qui décrivent une technique de télécommunication… pour téléavertisseurs, datant de 1994.
Je serais tenté de dire que si vous utilisez votre iPad Air 2 tout neuf comme «pagette», vous devriez effectivement vous sentir coupable et payer une amende. Mais pas pour violation de droits d’auteur, si vous voyez où je veux en venir.
C’est bien connu : la plupart du temps, les entreprises préfèrent payer les trolls pour qu’ils leur fichent la paix, de crainte qu’un procès ne se révèle encore plus coûteux quel qu’en soit la conclusion. Mais celles qui se défendent contre les trolls gagnent de plus en plus souvent – et si jamais une réforme des brevets devait dissuader les trolls d’utiliser des brevets désuets pour attaquer, tout le monde en sortirait gagnant.
Anecdote savoureuse : la juge qui présidait dans cette affaire avait interdit à Apple d’appeler son adversaire un troll pendant le procès, affirmant que ce terme aurait causé un préjudice significatif à la partie demanderesse aux yeux du jury – mais elle avait permis la désignation «compagnie qui ne fait rien», qui ne semble pas beaucoup plus glorieuse!
Lulzera bien qui lulzera le dernier
Le genre de gestes qui, s’ils étaient posés dans «la vraie vie», attireraient à leurs auteurs une bonne baffe ou quatorze, mais que les victimes n’osent pas dénoncer parce que les punitions qui pourraient être infligées aux agresseurs n’en valent pas la peine. Du moins, jusqu’à maintenant.
Enfin, le gouvernement britannique vient de proposer une législation qui rendrait les trolls reconnus coupables de harcèlement en ligne passibles de deux ans de prison.
On ne parle pas ici de simples farces plates de cour d’école, mais plutôt de comportements graves comme on en voit malheureusement trop souvent sur les réseaux sociaux. Des menaces de mort gratuites à répétition. La publication d’informations personnelles qui mettent la sécurité des victimes en danger.
Bref, le genre de gestes qui, s’ils étaient posés dans «la vraie vie», attireraient invariablement à leurs auteurs une bonne baffe ou quatorze, mais que les victimes de harcèlement en ligne n’osent pas toujours dénoncer parce que les punitions qui pourraient être infligées aux agresseurs n’en valent pas la peine. Du moins, jusqu’à maintenant.
Conclusion
Peut-on même espérer que la crainte de l’emprisonnement convaincra certains trolls des réseaux sociaux de se calmer, éliminant ainsi le problème du harcèlement à la source? Ça reste à voir, mais on ne peut que le souhaiter.
Tout comme on ne peut qu’espérer que les «entités non pratiquantes» seront neutralisées à la source par une réforme musclée du système et que leurs poursuites et autres tentatives d’extorsion ne seront plus, un jour, qu’un mauvais souvenir. Parce qu’elles coûtent cher à tout le monde. Combien de produits innovateurs n’ont jamais vu le jour parce que leurs inventeurs potentiels étaient terrifiés à l’idée de se faire asséner des poursuites ruineuses sur la tête? Quelle proportion de ce que nous payons pour chaque nouveau gadget techno finit par se retrouver dans les poches d’une armée de trolls?
Autrement dit : qu’il s’agisse d’activité commerciale ou personnelle, il est préférable de prévenir le trollisme que de le punir. Parce que pour ceux qui en sont les victimes, justice rendue n’est qu’un bien piètre remède.