Je ne me souviens pas plus du premier livre que j’ai lu. Je veux dire, toute seule. Je me rappelle plusieurs soirées de frustration, moi crispée dans mon lit simple, fâchée d’être incapable, d’être dépendante d’un autre, mon père, ma marraine, peu importe.
Lire, c’est lire. Et même s’il m’arrive de varloper allègrement un ouvrage de psycho pop ou un roman populaire minable (à mes yeux, hein), je serai toujours de ceux qui défendent le droit inaliénable au «plaisir des mots alignés».
Je lis. J’ai toujours lu. En crisse. Tout ce qui me tombe sous la main, tout ce qui croise mon regard, je suis de même. Je lis. J’ai passé des années à lire les derrières de bouteilles de shampoing, les versos des pamphlets, les descriptions de films dans le feu Télé-Presse. Mets-moi quelque chose qui comporte des lettres alignées dans la face, je vais le lire. Ad nauseam.
J’ai tellement lu les notices de produits ménagers que j’en ai fait une chanson. Ça rimait pis toute. «Tenir loin des sources de chaleur», c’était mon refrain. On peut bien rire des rimes d’Éric Lapointe en «ouche», ça prend ben juste une préadolescente de 11 ans pour sortir toutes les rimes en «eur» possibles. Pour créer une toune sur des produits ménagers, surtout.
J’ai toujours lu. En crisse. J’ai des souvenirs de romans de la Courte Échelle, j’ai encore en tête le nom du chien d’un roman jeunesse de Francine Ruel, je me souviens de la joke poche de son personnage principal : dans un formulaire, à la question «sexe», il avait écrit «pas encore mais ça ne saurait tarder». Je me rappelle avoir été étourdie par les mots de Laclos, quand je lisais à douze ans Les Liaisons Dangereuses, enfermée dans la salle de bain, la nuit. J’ai encore en mémoire le moment où mon père m’a offert, en revenant de congrès en France, le roman jeunesse «J’ai hâte de vieillir». J’avais TELLEMENT hâte de vieillir.
Je me rappelle aussi les jingles de pubs de mon enfance. Bouclair, la fondue, une touche de crème pis tout le gréement. Les mots, toujours les mots.
Facebook, ce livre qui n’en sera jamais tout à fait un
Ça en a surpris plusieurs que je devienne accro aux réseaux sociaux. «C’est tellement pas toi!», «Tu trouveras pas Proust là, fille», «Voir que tu défends une plateforme de paresseux intellectuels!». Je suis devenue accro rapidement aux réseaux sociaux, c’est vrai. Mais j’étais déjà accro au Web. Le Web, qui est une source inépuisable de mots. Qui me garroche des mots dans’ face plus vite que je suis capable de les lire, de les assimiler, de les remettre en cause.
On aime bien jouer les élitistes, chez les littéraires puristes. Mais y’a rien de plus con que le purisme, en littérature (je ne me prononce pas pour les autres disciplines / arts, vous le ferez mieux que moi anyway). Lire, c’est lire. Et même s’il m’arrive de varloper allègrement un ouvrage de psycho pop ou un roman populaire minable (à mes yeux, hein), je serai toujours de ceux qui défendent le droit inaliénable au «plaisir des mots alignés».
Facebook a célébré ses dix ans cette semaine. Vous avez été nombreux à partager la petite rétrospective cute avec musique arrache-cœur à l’appui. Vous avez braillé des larmes de joie, vous vous êtes tapé un trip de nostalgie. C’est ben swell. J’ai rien contre ça. À la limite, je suis envieuse. Ma rétrospective à moi présentait deux photos d’un ex à qui je ne parle plus, pis des niaiseries de statuts supposément funnés qui ne m’ont même pas fait sourire en les relisant.
C’est pourquoi je propose un tout autre genre de défi, le défi «La soirée la plus longue de ta vie». Vous n’avez qu’à prendre un livre qui dort dans votre bibliothèque, vous éteignez tous les écrans, vous vous cantez dans votre divan préféré ou votre lit, et vous le lisez. Juste ça.
Pis il fallait ben que cet anniversaire-là tombe en même temps que le défi de la Fondation Jean Lapointe, vous savez, le fameux défi «Les 28 jours les plus longs de ta vie».
Facebook, c’est des mots. Des mots alignés, certes. Des mots qui font rire, des mots qui font du bien, des mots qui font pas mal tout ce que tu veux qu’ils fassent, si tu les lis au bon moment. Mais Facebook n’est pas un livre, malgré le nom de la bête. Y’a aucune panacée, by the way. Pis oui, souvent alcool et mots font bon ménage. Ou l’inverse. C’est pourquoi je propose un tout autre genre de défi, le défi «La soirée la plus longue de ta vie». Vous n’avez qu’à prendre un livre qui dort dans votre bibliothèque, vous savez, le livre que vous avez acheté ou que vous avez reçu en pensant «Yes! J’ai TELLEMENT envie de le lire!» et que vous n’avez jamais lu, as usual. Ben voilà, vous le prenez, vous éteignez tous les écrans, vous vous cantez dans votre divan préféré ou votre lit, et vous le lisez. Juste ça.
Parce qu’y’a un univers en dehors de vous pis de vos amis Facebook. Continuez à nourrir la bête, elle est relativement inoffensive, mais ne cessez pas de vous nourrir de mots. Que vous aspiriez à enfin finir la Recherche ou «juste» une nouvelle sur un site louche, lisez. Lisez. Partout, tout le temps. Y’a peut-être plus de Télé-Presse, mais y’a en masse de stock pour vous remplir les yeux sur Internet et ailleurs.
Ça va faire des ben meilleurs statuts, anyway.