Le chant du cygne d’AOL

La valse des fusions et acquisitions se poursuit dans le domaine des médias numériques, alors que le géant américain des télécommunications Verizon annonçait mardi son intention de mettre la main sur AOL pour la modique somme de 4,4 milliards de dollars US.

Après le mariage houleux et ultimement raté avec Time Warner, mariage qui a pris fin avec un divorce en 2009, voilà que Tim Armstrong, le PDG, est confronté à un possible éclatement de son empire médiatique.

Avec son prix de 4,4 milliards de dollars US, AOL ne vaut qu’une fraction d’entreprises plus récentes et plus dynamiques issues du secteur numérique.

Éclatement, en effet, puisqu’au-delà du coup d’éclat réalisé par Verizon, cette juteuse entente concerne les activités de publicité, et plus particulièrement sur les plateformes mobiles, une division en forte croissance chez AOL ces dernières années.

Les différentes propriétés médiatiques du groupe, notamment l’incontournable Huffington Post bien sûr, mais aussi les sites web à saveur technologique que sont TechCrunch et Engadget, apparaissent comme des «cerises sur le sundæ», et non pas comme le prix tant convoité.

Comme le mentionne le New York Times dans un article publié sur la question, avec son prix de 4,4 milliards de dollars US, AOL ne vaut qu’une fraction d’entreprises plus récentes et plus dynamiques issues du secteur numérique, telles que Facebook, ou même WhatsApp, un service de messagerie justement acquis par Facebook pour le montant colossal de 21 milliards de dollars US. Cette transaction signifie également qu’AOL vaudrait aussi à peine plus que Vice, le paradis du journalisme gonzo qui continue d’attirer les investisseurs et le financement.

La salle de rédaction du Huffington Post à New York (Image : Huffington Post).
La salle de rédaction du Huffington Post à New York (Image : Huffington Post).

Qu’arrivera-t-il, alors, avec ces médias numériques? Que se passera-t-il du côté du Huffington Post, acheté au prix fort de 315 millions de dollars US il y a seulement quatre ans? Certaines rumeurs font état d’une vente partielle ou totale des activités médiatiques, puisque, encore une fois, l’idée était de s’emparer des capacités en matière de marketing, surtout pour produire des publicités vidéo projetées en ligne ou sur des appareils mobiles.

Choix cornélien

Que reste-t-il à faire pour Verizon? Vendre les médias à la pièce pourrait s’avérer risqué : si on parle d’une évaluation d’un milliard pour le Huff, l’organisation d’Ariana Huffington a-t-elle vraiment les reins assez solides pour poursuivre l’aventure par elle-même? Comme la majorité des médias numériques, ce journal en ligne et ses déclinaisons nationales doivent s’appuyer sur un marché publicitaire plus que volatile. Combinez cela à des tentatives pas toujours concluantes de s’installer dans les niches des médias traditionnels, entre autres en lançant une chaîne d’information en continu, et vous obtenez un mélange incertain.

Toutefois, en se serrant les coudes et en conservant le conglomérat médiatique à l’extérieur de la nouvelle entité AOL-Verizon, les publications en ligne ont de meilleures chances de survie. Il ne fait aucun doute que Verizon a bien peu d’intérêt envers le maintien à flot de médias. Si le Huff vaut justement un milliard, l’heure est à la vente, histoire d’éviter que le tout ne soit ensuite tué à petit feu au fur et à mesure que la compagnie mère procédera à l’inévitable «rationalisation» des actifs.

argentus

Mais le Huffington Post vaut-il vraiment un milliard? En fait, valait-il vraiment les 315 millions payés par AOL en 2011? Si l’on ne peut pas nier que l’on trouve plusieurs bons journalistes œuvrant au sein de cette pieuvre médiatique, force est d’admettre qu’une bonne partie de son trafic web provient du contenu acheté ou, quelques fois, «repiqué» à d’autres médias. Ainsi, si l’on prend l’exemple du Huffington Post version québécoise, on trouvera des textes de La Presse Canadienne et de Radio-Canada, entre autres sources. Parfait pour attirer des clics, mais qu’en est-il de la valeur intrinsèque en matière de création véritable de contenu? Il ne suffit pas d’ajouter un diaporama de photos ou d’intégrer des tweets pour que l’article se transforme soudainement en bijou.

Il faut toutefois reconnaître que la déclinaison québécoise du site a pris du galon depuis le scandale des blogueurs non rémunérés, ou encore des fautes criantes de goût en matière de titrage. Impossible de savoir qui avait titré Igloo, Igloo, en parlant des problèmes d’alcoolisme du député néodémocrate Romeo Saganash, mais le média a heureusement rehaussé le niveau depuis.

Au revoir

Cela ne vous rappelle rien? Un groupe médiatique bien en vue qui est racheté par un géant des télécommunications, qui finit par récupérer uniquement l’aspect marketing de la chose pour se débarrasser du reste?

En fait, pour comprendre ce qui pourrait se passer, il n’y a qu’à observer l’histoire de Branchez-vous. D’abord lancée de façon indépendante, l’entreprise a multiplié les acquisitions avant d’être rachetée par Rogers Media en 2010.

En 2012 cependant, coup de théâtre! Six mois après avoir annoncé un poste de rédacteur en chef pour le principal blogue de sa récente acquisition, qui est alors devenu un site d’information plus généraliste, Rogers ferme boutique, en conservant cependant la régie publicitaire bien établie de ce qui était BV! Media. Aujourd’hui, seule cette régie publicitaire est encore en activité, alors que Branchez-vous est revenu à ses premières amours, sous la bannière Média Happy Geeks qui a fait l’acquisition de ses propriétés intellectuelles auprès de Rogers.

Cela ne vous rappelle rien? Un groupe médiatique bien en vue qui est racheté par un géant des télécommunications, qui finit par récupérer uniquement l’aspect marketing de la chose pour se débarrasser du reste? Pire, dans le cas d’AOL, le Huff et les autres sites d’information proviennent déjà d’une acquisition précédente. C’est dire si Verizon, dans sa quête de profits, est potentiellement peu intéressée par la chose journalistique.

En fin de compte, que le conglomérat médiatique mérite vraiment l’évaluation à un milliard de dollars US ou non, il ne fait que peu de doutes que le Huffington Post a encore plusieurs années devant lui, surtout alors que les gens se tournent toujours davantage vers le Web pour s’informer.

Quel avenir, alors, pour les journalistes, éditorialistes, chroniqueurs, testeurs et autres chefs de pupitre d’AOL? «Fuyez, pauvres fous», dirait Gandalf. Peut-être faudra-t-il trouver un nouvel investisseur aux poches profondes. Ou peut-être, et je dis bien peut-être, est-il possible de se lancer à l’aventure dans l’inconnu, sans fil conducteur, sans ceinture de sécurité. Histoire de devenir véritablement indépendant sur le Web. Après tout, BuzzFeed est en voie de réussir sa mutation en un organe mi-listes de GIF de chats, mi-site d’actualités… pourquoi le Huff ne pourrait-il pas faire de même?

Dans le pire des cas, je suis certain que Jeff Bezos, fondateur et PDG d’Amazon, a encore un peu de monnaie dans ses poches, même après avoir acheté le Washington Post.

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