Dénoncer n’est pas un «one-way»

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J’avais 16 ans et c’était dans un sous-sol en préfini. Des parents absents, des ados qui se saoulent au son des Smashing Pumpkins le temps d’une soirée dont la finalité à peine voilée consiste à necker et à se pogner un peu les fesses.

Si #AgressionNonDénoncée lui est passé sous les yeux ces jours-ci, j’ai l’intime conviction qu’il n’a pas cru que le chapeau lui faisait.

Ce soir-là, je n’ai pas dit «non». Du moins, pas clairement. Engourdie par l’alcool, j’ai seulement fait un peu plus que je ne l’aurais voulu quand un de mes collègues de classe, avec qui je m’adonnais à une séance de frenchage en règle, s’est montré un peu insistant. Lui – globalement un bon gars – n’a dû se rendre compte de rien. Sa «demande» lui semblait sans doute aussi anodine que d’encourager quelqu’un à pitcher plus fort au ballon chasseur. Si #AgressionNonDénoncée lui est passé sous les yeux ces jours-ci, j’ai l’intime conviction qu’il n’a pas cru que le chapeau lui faisait.

Mes souvenirs de la soirée sont flous, merci, Tornade cheap. Je me rappelle seulement être rentrée chez moi et m’être couchée en pleurant parce que je me demandais si j’avais été abusée.

Le lendemain, j’étais malade comme un chien, alors je n’y ai plus trop repensé. Plus du tout, en fait. Ça n’est même jamais ressorti chez ma psy, n’en déplaise à certains. Mon fureteur interne s’est chargé de mettre cet épisode en cache. Jusqu’à ce que pointe, la semaine dernière, #BeenRapedNeverReported ou #AgressionNonDénoncée; ce dernier mot-clic hurlant que l’agression ne se limite surtout pas au viol, par un inconnu, dans une ruelle sombre.

Pas si solide, la solidarité

J’ai eu de la chance. Toute ma vie, j’ai eu des chums respectueux, dans le genre de Michel Savard, dont la lettre Devenir un homme a beaucoup circulé. Un des rares textes signés par un homme qui a su faire positivement son chemin sur les réseaux sociaux, où le mouvement s’est ici et là transformé en débat, voire en affrontement.

Les hommes, agresseurs, d’un côté; les femmes, victimes, de l’autre. Et des mots vraiment pas tendres qui s’échangent, alors que c’est plutôt une chaîne de solidarité qui devrait s’ériger.

Un peu comme Foglia qui parlait de "chasse à l'homme", c'est de la misandrie que ce commentateur voit dans #AgressionNonDénoncée.
Un peu comme Foglia qui parlait de «chasse à l’homme», c’est de la misandrie que ce commentateur voit dans #AgressionNonDénoncée.

Au départ, elle était pourtant bien là, la solidarité, née dans la foulée de l’affaire Jian Ghomeshi, dans laquelle des femmes – encouragées par le fait de ne pas être seules dans leur bateau – ont osé porter plainte à la police pour dénoncer l’animateur-vedette de Q. Alors qu’il n’était question que d’allégations, les gérants d’estrade défendaient pour la plupart le présumé agresseur.

Qui disait vrai? Le demi-dieu Ghomeshi et ses pratiques sexuelles un peu hard ou ces femmes qui agissaient peut-être par vengeance (et ce n’est pas moi qui le dis)? Il a fallu que des accusations en bonne et due forme soit déposées pour que les médias nous décrivent l’homme comme un tyran à la petite semaine, que l’opinion publique bascule et que d’autres femmes se lèvent.

Nommer ou ne pas nommer, là est la question piège

Les victimes ont d’abord fait sauter nombre de digues. Les premiers jours, le mot-clic français créé par l’initiative Je suis indestructible et la Fédération des femmes du Québec était sur tous les claviers. Très vite, tous – hommes comme femmes, victimes ou non – y sont allés de leur point de vue, alors que l’écoute aurait souvent été plus appropriée.

Puis, la dénonciation est devenue délation.

Des sites ont rugi et écrit noir sur blanc les noms de certains présumés agresseurs, tandis que des portes de professeurs d’université taxés du titre de harceleurs sexuels ont été placardées d’autocollants. Deux façons de faire, une même finalité : se faire justice soi-même devant l’inefficacité des voies officielles et leur tendance à remettre la parole des victimes en question…

Dès lors son nom mentionné, l’agresseur est officieusement déclaré coupable. Mais de quoi exactement? Les discussions, sur les murs Facebook à ciel ouvert et à mots couverts, ne le disent pas.

Cette justice réparatrice libère, certes. Mais elle n’est pas sans risque de dérive. Dès lors son nom mentionné, l’agresseur est officieusement déclaré coupable. Mais de quoi exactement? Les discussions, sur les murs Facebook à ciel ouvert et à mots couverts, ne le disent pas.

Et il ne faudrait pas oublier que ce ne sont pas toutes les victimes qui ressentent le besoin d’aller si loin.

Là où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie, et les femmes n’y échappent pas. Celles qui prônent la délation sont convaincues du bien-fondé de leur démarche, voire de sa nécessité. Nombreuses tendent à croire que toutes devraient faire comme elles «pour aller au bout des choses». Elles ne sont pourtant pas sans savoir que le fait de nommer son agresseur expose à des poursuites en diffamation; dans le détour, ce seront encore deux paroles qui s’opposeront et des plaies que l’on écorchera à nouveau. Le choix de nommer ou non appartient à chacune. Entre-temps, les femmes se divisent.

Pour la suite du monde

Les chemins menant à la guérison suite à une agression sont multiples. De mon côté, je suis sereine, sans avoir fait quoi que ce soit de spécial. Plate de même – un petit glitch dans un programme bien ordinaire. Mais une situation identique à la mienne (Tornade cheap y compris) aurait pu être vécue plus difficilement par une personne qui, aujourd’hui, pourrait ressentir le besoin de crier haut et fort le nom de son agresseur. Entre les deux, il y a bien plus que 50 nuances de gris. Cessons de généraliser, comme ce cher Foglia l’a «mononclement» fait. Cessons de banaliser, aussi.

Une chose est sûre : on a rarement autant parlé d’agression sur la place publique. La notion de consentement est sur toutes les tribunes. On y a discuté d’abus, de harcèlement sexuel et psychologique et, plus largement, des nombreux rapports de force qui ont cours, chaque jour, dans notre société et que l’on finit par oublier.

#AgressionNonDénoncée ne peut effacer le passé, mais j’ose croise qu’il aide à panser des plaies, à refermer des cicatrices. J’espère surtout qu’il saura améliorer le futur. Le temps mis avant d’oser déposer une plainte complique son traitement, les preuves étant effacées par les années. Une plainte rapidement déposée après les faits a de meilleures chances d’aboutir. Si #AgressionNonDénoncée encourage les victimes présentes et futures à dénoncer officiellement, et notre système de justice à les accueillir plutôt qu’à les ébranler davantage, ce sera au moins ça de pris.

Dans l’idéal, la notion de consentement fera bientôt autant partie de nos vies que le fait de respirer. Pour que, dans un futur proche, hommes et femmes puissent souffler – et rire – un peu. Ensemble. Dans tous les sous-sols en préfini du monde.

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