Pensons par exemple à la publicité de Vidéotron dans laquelle on voit un technicien installer un système de télévision sans-fil, dans un environnement blanc et bleu rappelant fortement celui des campagnes publicitaires de Bell. Dans cette publicité, la cliente s’offusque du fait que le système prétendument sans-fil nécessite l’utilisation d’un câble d’alimentation et d’un câble HDMI.
Dans une autre publicité récente (ci-dessus), Vidéotron a relevé le niveau de la confrontation d’un cran, en associant carrément les services de Bell à la chanson Aujourd’hui, ma vie c’est d’la marde de Lisa LeBlanc.
Parallèlement à cette campagne, Vidéotron a également envoyé des lettres à ses clients afin de dénoncer certaines prétentions de leur principal concurrent. L’extrait suivant, tiré de l’une de ces lettres, a été mis en ligne par Protégez-vous :
«Notre concurrent est présentement en mode sollicitation dans votre secteur. Nous tenons toutefois à vous mettre en garde contre certaines affirmations trompeuses, qui consistent, entre autres, à vous faire croire que son réseau est composé de fibre optique jusqu’à votre domicile. C’est faux. Bell vous promet la fibre, mais ce qui rentre chez vous, c’est du cuivre.»
La publicité comparative
Contrairement aux États-Unis, il n’existe au Canada aucune exception d’utilisation équitable des marques de commerce pour la publicité commerciale.
Au Canada, ce type de campagne publicitaire ne passe pas inaperçue. En effet, rares sont les publicités qui ciblent directement une marque ou un produit concurrent.
Cela s’explique par le fait que, contrairement aux États-Unis, il n’existe au Canada aucune exception d’utilisation équitable des marques de commerce pour la publicité commerciale. Ainsi, les entreprises canadiennes ne sont pas autorisées à utiliser les marques de leurs concurrents, puisque cela pourrait être considéré comme de la contrefaçon.
Pour contourner cette restriction, certaines entreprises ont recours à des solutions imaginatives afin de pouvoir se comparer à la compétition. Par exemple, la marque Charmin utilise régulièrement des expressions telles que «la marque de l’oiseau» ou «la marque des chatons» pour identifier ses rivaux.
Dans le cas de Vidéotron, la comparaison est beaucoup plus évidente, mais semble néanmoins demeurer conforme à la législation en vigueur. D’ailleurs, rappelons que Bell a eu recours au même stratagème en 2014, alors qu’une de ses publicités diffusées en marge d’une série Montréal-Boston ciblait directement Vidéotron en mentionnant que «Le noir et le jaune n’ont jamais été nos couleurs préférées». Ce à quoi Vidéotron avait rétorqué dans sa propre publicité : «Bleu et blanc, c’est pas Toronto ça?»
Cette confrontation était toutefois beaucoup plus sympathique que celle qui a lieu ces jours-ci.
Tout n’est pas bleu ou jaune
Nous avons déjà mentionné que Vidéotron s’attaque directement aux promesses formulées dans les publicités de Bell, jugeant que celles-ci laissent croire aux consommateurs qu’ils peuvent bénéficier de services ou de prix qui ne sont pas conformes à la réalité.
D’ailleurs, il y a quelques semaines, la Cour supérieure a donné raison à Vidéotron dans le dossier d’une campagne publicitaire diffusée dans le journal Métro. Dans cette publicité, Bell annonçait des prix pour ses services sans inclure certains frais obligatoires.
Bien entendu, un consommateur averti pourrait se douter qu’une télévision a besoin d’électricité pour fonctionner. Or, faut-il vraiment analyser la publicité dans la perspective d’un consommateur averti?
Évidemment, lorsque la question tourne autour de l’exactitude d’un prix, il est assez aisé de valider s’il s’agit d’une publicité fausse ou trompeuse. Par contre, ce peut être beaucoup plus complexe lorsqu’il est question de la performance ou de la qualité des services.
Par exemple, la plupart des campagnes publicitaires de Bell faisant l’éloge de son service de télévision sans-fil précisent, souvent de façon assez discrète, qu’un câble d’alimentation demeure nécessaire. De même, la plupart des publicités de Bell visant à promouvoir son service de fibres optiques intégral mentionnent, souvent de façon plutôt expéditive, qu’il peut être nécessaire d’avoir recours à une connexion de cuivre afin de relier la résidence de certains utilisateurs au réseau de fibres optiques.
Bien entendu, un consommateur averti pourrait se douter qu’une télévision a besoin d’électricité pour fonctionner et qu’une connexion n’est probablement pas composée intégralement de fibre optique si elle emploie le vieux réseau de câbles de cuivre qui était déjà installé dans la résidence.
Or, faut-il vraiment analyser la publicité dans la perspective d’un consommateur averti?
La publicité fausse ou trompeuse
Au Québec, la Loi sur la protection du consommateur mentionne que pour déterminer si une publicité est fausse ou trompeuse, il faut tenir compte de l’impression générale qu’elle donne et, s’il y a lieu, du sens littéral des termes qui y sont employés.
En d’autres mots, une publicité peut être fausse ou trompeuse simplement par l’impression générale qui s’en dégage, et ce, même si les termes qui y sont employés décrivent fidèlement les produits et services offerts.
À ce propos, la Cour suprême du Canada mentionnait en 2012 que cette «impression générale» est celle qui se dégage après un premier contact complet avec la publicité, et ce, à l’égard tant de sa facture visuelle que de la signification des mots employés. Elle doit être analysée dans la perspective d’un consommateur moyen, crédule et inexpérimenté, qui ne prête rien de plus qu’une attention ordinaire à ce qui lui saute aux yeux lors d’un premier contact complet avec une publicité. Le critère du consommateur avisé n’est donc pas pertinent en l’espèce.
Les infâmes petits caractères
Dans leurs publicités, les commerçants ont souvent recours aux «petits caractères» pour préciser davantage leurs offres et y ajouter des conditions ou restrictions.
Dans ce cas, il faut déterminer si les ce texte est suffisant pour contrebalancer l’impression générale donnée par la publicité dans son ensemble. Il n’est donc pas possible de s’en servir pour contredire complètement un propos tenu dans une publicité.
Les publicités de Vidéotron sont-elles diffamatoires?
Afin de répondre aux attaques de son rival, Bell a récemment intenté un recours judiciaire à l’encontre de Vidéotron pour faire cesser la campagne publicitaire qui emploie la chanson Aujourd’hui, ma vie c’est d’la marde. Selon un texte paru dans La Presse, Bell affirmait alors que cette publicité s’inscrivait dans une campagne de diffamation et de dénigrement puisqu’elle sous-entendait que ses services sont «de la marde», qu’ils ne valent rien ou qu’ils sont de piètre qualité.
Pour l’instant, seule une décision provisoire a été rendue, permettant à Vidéotron de poursuivre sa campagne publicitaire jusqu’au retour des parties en cour à la mi-septembre.
Il sera intéressant de suivre l’évolution de cette affaire puisque le Québec n’a pas souvent été le théâtre d’une guerre publicitaire aussi ouverte. En attendant, il faut espérer que les deux géants gardent en tête que le meilleur moyen de satisfaire leurs abonnés, c’est d’offrir un meilleur service; et non pas de dénigrer les services offerts par la compétition.