Il était très cute, ce fameux journal, mais il possédait surtout un petit cadenas! À moi les secrets, juste à moi, pensais-je dans ma belle naïveté de fillette qui n’avait pas encore compris que le fameux cadenas qui m’impressionnait tant était plus facile à débarrer que de m’arracher une dent de bébé (et j’étais vraiment une pro de l’autoarrachage de dent, je souligne au passage).
S’il nous semble évident que c’est une très mauvaise idée de dénigrer les compétences de notre employeur ou d’écrire toutes les tortures qu’on ferait subir à notre prof sur les réseaux sociaux, on manque de jugement lorsqu’il est question de notre vie privée.
Je me suis lancée dans l’entreprise de rédaction de mes petites journées et moindres humeurs comme d’autres, plus tard, tombent dans l’enfer de la drogue. Comme si y’avait pas de lendemain, ouais. Un journal a succédé à un autre, et un autre, et c’est ainsi que le rayon le plus élevé de ma bibliothèque de chambre (oui, ça prend des bibliothèques dans chaque pièce, c’est la base) est entièrement consacré à mes émois d’enfant et d’adolescente. Puis, comme la plupart des gens, j’ai cessé d’inscrire tout ce qui me passait par la tête dans ces colorés cahiers et suis devenue, du moins en apparence, adulte. Lire : je me suis mise à écrire un roman d’autofiction que vous ne trouverez nulle part en librairie pour la simple et bonne raison qu’il n’a jamais été publié. J’avais cessé d’écrire pour moi, je voulais être lue.
Ceci est ma vie misérable livrée pour vous
Souvent, j’ai l’impression que les journaux intimes ont cédé leur place à Facebook dans la vie des jeunes adultes dont je fais partie. Il est vrai, la tentation est parfois forte de cracher le motton qu’on a en travers de la gorge en rédigeant un vitriolique statut ou en éclaboussant le fil d’actualités de nos amis avec les détails de notre plus récente rupture amoureuse.
On se sent seul, on a un verre dans le nez et on cherche désespérément à être entendu, lu, compris. On se rappelle l’époque bénie où faire le bacon dans une allée de supermarché ne manquait pas d’attirer l’attention sur notre petite personne souffrante qui criait son besoin d’exister (et de manger un deuxième sachet de bonbons surettes MAINTENANT). Notre ordinateur ou notre téléphone intelligent devant nous, on s’offre une séance d’exhibitionnisme virtuel, convaincu du haut de notre douleur ou de notre taux d’alcoolémie que l’exercice sera libérateur. Grossière erreur.
L’effet accident de char
Je ne parle pas des anodins «J’ai renversé mon café sur ma plus belle chemise blanche, chienne de vie!» et autres «Journée pourrie, j’ai juste envie de me rouler en boule sous la couette». Non, je parle de déballage impudique de la vie privée, d’écriture thérapeutique et d’invitation à commenter les actions de méchants qui nous aurait trahis. S’il nous semble évident que c’est une très mauvaise idée de dénigrer les compétences de notre employeur ou d’écrire toutes les tortures qu’on ferait subir à notre prof sur les réseaux sociaux, on manque de jugement lorsqu’il est question de notre vie privée.
Je pense à cette connaissance Facebook qui a récemment écrit un statut-pamphlet contre sa belle-famille en racontant tous ses sordides secrets. Non content de se libérer en jetant ça sur Facebook, il a poussé le bouchon en taguant les membres de ladite belle-famille dans son statut. Public, le statut. Évidemment, les principaux concernés n’ont pas tardé à rappliquer en niant les allégations et en insultant vertement celui qui venait de les traîner dans la boue. Car il y a des conséquences à se mettre à nu (et à déshabiller les autres) sur les réseaux sociaux. Et plus souvent qu’autrement, elles sont négatives.
Un ami appelle ça «l’effet accident de char». Et les badauds, sur Facebook, sont légion et proactifs. Ils ne s’empêcheront pas de ridiculiser votre travail d’autoéviscération pour gagner des likes, et se porteront même parfois volontaires pour donner le dernier coup de couteau à votre égo meurtri. L’expérience thérapeutique devient alors franchement traumatisante. Vous n’avez rien gagné, vous vous sentez encore plus misérable qu’avant. Pauvre enfant. Car oui, vous venez de faire preuve de la maturité d’un enfant, and everybody knows.
Gardez-vous une p’tite gêne
Si le spleen vous saute à la gorge aux lueurs du petit matin, je vous encourage fortement à fermer l’ordinateur et à renouer avec l’ado que vous avez été en couchant vos tripes sanguinolentes sur papier. La plupart du temps, vous en serez soulagés en vous relisant quelques heures plus tard. Parce que, soyons honnête, en plus d’être gênants pour votre entourage et d’hypothéquer votre avenir personnel et professionnel, vos statuts de braillage ne méritent vraiment pas un Goncourt.