Entre deux messages d’inconnues aussi, un me remerciant de la faire rire en soulignant à gros traits les irritants facebookiens, l’autre m’enjoignant à «m’acheter une crisse de vie».
Tu passes tes soirées sur Facebook, souvent avec un verre de vin. Tu jases avec des gens que tu n’as jamais rencontrés de ta vie mais que tu voudrais soudainement inviter à souper. Tu t’endors en pensant moins souvent à la pharmacie, en envisageant un peu plus le réveil.
J’habite mon appartement depuis plus de trois ans. Depuis que j’ai refait la «crisse de vie» que je ne me suis pas achetée mais que j’ai acceptée, après ma rupture avec le papa de ma fille. C’est ici, autour du divan sur lequel j’écris en ce moment, que l’infante a appris à marcher, à parler. C’est sur ce même divan qu’elle s’est appuyée pour se lever debout la première fois. Ce divan que je ne déménagerai pas. Que je laisserai ici avec ces trois années, longues et courtes à la fois, teintées de douleur et de merveilleux.
En trois ans, j’ai eu autant d’emplois. Autant de tentatives amoureuses, aussi, avant d’ouvrir la porte à Laurent, que je ne connaissais que de réputation sur Facebook. Pas la meilleure réputation, d’ailleurs. Je ne me limite pas aux réseaux sociaux pour définir ma vie et celle des autres, fort heureusement. Parce que le Laurent que j’ai laissé entrer dans mon appart ce soir d’automne 2012, avec son 6 pack de Broken 7 mais SANS sa légendaire casquette des Expos, correspondait très peu à l’image que je m’étais faite de lui via Facebook.
Alors Laurent. Mais avant Laurent, et après Laurent aussi, les murs de mon microappart m’ont vue pleurer souvent. De solitude souvent. Je n’avais jamais habité seule. Je veux dire, sans autre adulte. De la maison familiale en colocation, de colocation en couple, de couple en colocation, de colocation en couple en colocation, de couple en couple encore, et encore. Puis la rupture, le bref retour chez mes parents, dans ma chambre d’adolescence au sous-sol. Avec un bébé dans les bras, un sac à couches, une petite valise de vêtements de grossesse étirés et un laptop sur le siège arrière du char. Même pas de lit, mon ancienne chambre avait été reconfigurée en bureau-entrepôt depuis des années.
Y’a pas grand-chose de plus humiliant, de plus déprimant que de redescendre au sous-sol de ta vie pour creuser davantage ton trou. Y’a pas grand-chose de plus douloureux que de savoir qu’on te juge ou qu’on te prend en pitié. T’as même pas la force de te rebeller, d’essayer de prouver que tu vaux plus que ça, tu n’y crois pas toi-même. Tu laisses ta famille te ramasser à la petite cuiller, tu vis au jour le jour, t’écoutes beaucoup trop la télé, tu te couches souvent en espérant ne jamais te réveiller, mais t’as jamais le guts de vider la pharmacie pour que ça arrive. T’es une vraie incapable.
En fait, pas tout à fait. T’es capable de faire rire du monde sur Facebook. Tu t’accroches à ça, t’essaies de ne pas sombrer totalement, tu chiales, tu niaises, tu souris même parfois. Sur Facebook, y’a pas grand-monde qui sait que tu écris tes statuts funnés sur un matelas gonflable dans un sous-sol de Bordeaux-Cartierville, ton père à moins de 10 pieds de toi.
Quand tu te sens un peu mieux, tu magasines les apparts, t’en trouves un à ton goût, petit mais bien situé, avec des planchers de bois franc, un bain neuf et une fenestration sur trois côtés. Tu t’installes tranquillement, tu te sens enfin chez toi, même si les rares amis que tu laisses franchir la porte te répètent que 36 boîtes de la SAQ ne constituent pas une bibliothèque digne de ce nom. Tu vis avec ce que t’as, pis ça adonne que t’en as, des boîtes de la SAQ. Tu passes tes soirées sur Facebook, souvent avec un verre de vin. Tu jases avec des gens que tu n’as jamais rencontrés de ta vie mais que tu voudrais soudainement inviter à souper. Tu t’endors en pensant moins souvent à la pharmacie, en envisageant un peu plus le réveil.
Saut dans le temps. On est en 2013. D’une job plate mais nécessaire à un poste que t’aimes mais qui sera aboli dans six mois, neuf mois, un an. Tu ne te reconnais nulle part. Arrive la mort d’une amie, ben trop jeune pour mourir, puis arrive la mort de ton propre bébé. 28 jours de saignements avant d’évacuer tout ce que tu portais de semblant d’espoir dans ton corps. Un espoir que t’étais même pas sûre de vouloir, tellement t’es suspicieuse dès que quelque chose de potentiellement positif t’arrive. T’avais ben raison, l’espoir est parti comme le reste, en crampes et en coulisses.
Pendant ce temps-là, pendant que tu pleures la vie qui ne sera jamais, t’écris des petites chroniques d’humeur à propos de Facebook. Parce que tu connais ça, Facebook. Tu t’accroches à ça depuis des années, tu t’aimes sur Facebook parce que tu ne parles pas de solitude, de deuil ou de fausse couche. Non, sur Facebook tu chiales pis tu fais des jokes. Tu te choques parfois mais tu ris beaucoup. Tu te forces pis le monde aussi, ça paraît. Pis t’as juste envie de dire merci, même si tu ne sais pas vraiment à qui.
Le divan sur lequel j’écris en ce moment, on me l’a donné. Comme on m’a donné ben des affaires. Du temps, de l’amour, du pardon. Je chiale souvent sur Facebook, qui aime bien châtie bien. Je laisse mon divan et mes deuils au chemin, pour qui voudra bien les ramasser. Mais j’emmène avec moi l’infante, Laurent et mon laptop.
Facebook aussi. Évidemment.