Le placement de produit dans au cinéma et à la télévision ne date certainement pas d’hier; déjà, dans le téléroman de La Famille Plouffe à Radio-Canada, on interrompait le déroulement de l’histoire pour présenter une scène entièrement destinée à vendre des cigarettes. Dans le troisième opus de House of Cards, toutefois, le marketing prend la forme de gros plans sur des produits, majoritairement des téléphones intelligents, des téléviseurs, ou encore des ordinateurs.
Un mal nécessaire?
On connaissait le penchant de Frank Underwood pour les ordinateurs Apple, et ce dès la première saison de la télésérie. Cette fois, les machines de la pomme se retrouvent jusque dans le bureau personnel du président, et bon nombre d’ordinateurs portables arborent le célèbre logo lumineux. Idem pour les téléphones : la première dame utilise un iPhone, tandis que plusieurs personnages utilisent peu subtilement des appareils fonctionnant sous le système d’exploitation Windows Phone, développé par Microsoft.
L’exemple le plus flagrant de placement publicitaire dans la troisième saison est sans doute le moment où le consultant des affaires étrangères utilise une tablette du géant sud-coréen Samsung pour transposer une carte géographique sur un téléviseur du même fabricant. Un peu plus, et un représentant de l’entreprise ouvrait la porte à la volée pour entonner une chansonnette en vantant les qualités des produits électroniques.
Le placement de produit pourrait-il être un mal nécessaire? Une façon de combler les budgets de production sans devoir réduire la qualité finale du produit?
Mais le placement de produit pourrait-il être un mal nécessaire? Une façon de combler les budgets de production sans devoir réduire la qualité finale du produit? À défaut de se débarrasser entièrement de la publicité (une utopie agréable, mais quasiment impensable), une proportion raisonnable d’encarts publicitaires est acceptable. Après tout, certains films semblent entièrement consacrés à mettre de l’avant des produits de consommation et des entreprises, et cela n’empêche pas ces œuvres de séduire le public. Qui ne se souvient pas du film The Wizard, gigantesque publicité pour Nintendo, ou encore du plus récent The Lego Movie?
Dans ce dernier cas, même le titre du film porte le nom de la compagnie! Et… ça marche! L’envie était très forte, après la projection, de mettre la main sur des blocs de construction pour commencer à créer un univers fantastique.
Quelle position faut-il adopter? Doit-on y aller au cas par cas? Wayne’s World avait poussé le concept à l’extrême en plongeant dans l’ironie. The Island avait donné dans le ridicule avec des publicités de Xbox et de Microsoft qui semblaient complètement démodées pour un film se déroulant dans le futur. Quant à House of Cards, si le jupon dépasse parfois franchement, on n’a au moins pas le culot de lier publicités et scénario, à l’exception d’un bref moment où le président Underwood joue à The Stanley Parable, un jeu sur l’aspect inévitable d’une existence vouée au néant.
Welcome to the Machine
Certaines publications en ligne se sont fait un malin plaisir de décortiquer les 13 épisodes de la troisième saison pour en tirer toutes les apparitions de produits commandités. Par exemple, la liste compilée par The Next Web transforme House of Cards en une litanie d’appareils technologiques, ce qui aide à renforcer le côté inhumain de la politique et du pouvoir.
En ce sens, on a pratiquement l’impression que ce ne sont pas les humains qui prennent les décisions, mais que ce sont plutôt les machines qui se font obéir des pauvres bipèdes que nous sommes.
Pourquoi, dans ce cas, le placement publicitaire n’aurait-il pas un rôle double, soit de vendre des produits, mais aussi de contribuer au scénario? Car la politique dans House of Cards est à l’image des appareils que l’on essaie de nous vendre : belle, mais froide, bassement utilitaire, destinée uniquement à accomplir des tâches plutôt qu’à créer ou à améliorer l’existence de ceux qui en profitent.
Pour peu, on se croirait revenus à l’époque de Metropolis, le chef d’oeuvre de Fritz Lang où tous doivent trimer pour alimenter Moloch, l’infernale machine sans qui la vie en société serait impossible et où les hommes seraient condamnés à l’extinction. Multipliez-les, ces tablettes, ces téléphones, ces ordinateurs et ces téléviseurs : l’éclat lumineux donnant un teint blafard à leurs utilisateurs est sans doute la seule chaleur dont les personnages disposeront dans leur impitoyable univers machiavélique.
Au final, Frank Underwood n’est jamais aussi menaçant que lorsqu’il empoigne son téléphone pour dicter ses ordres. Le pouvoir, en cette année 2015, repose sur les épaules des moyens de transmission, et non plus sur les exécutants. Et, chanceux que vous êtes, ce système dystopique est une présentation de Google. Ou est-ce Apple?