Cette affirmation est particulièrement vraie lorsqu’il est question de la trilogie originale de la saga Star Wars. Depuis son lancement, plusieurs déclinaisons de ces films ont été réalisées, dont une première modification apportée en 1981 lors du retour en salles du premier chapitre de la série avec l’ajout d’un nouveau sous-titre – Episode IV : A New Hope.
Le magazine The Atlantic a réalisé cette semaine un excellent dossier sur le sujet.
Fin de non-recevoir
En 1978, Star Wars a gagné un total de 7 oscars. Vous désirez voir ce qui a contribué au succès du film selon l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences? C’est impossible. Du moins, pas légalement.
Certes le plus controversé de ces changements : dans la version originale, Han Solo a tiré Greedo le premier. En fait, il est le seul à avoir tiré.
Non, George Lucas ne veut pas vous montrer cette version. Le réalisateur préfère que vous regardiez l’édition spéciale, sur laquelle les éléments reconnus à l’époque par l’académie ont disparu. Sans oublier que cette version propose l’ajout de nouvelles scènes et des changements apportés à certaines d’entres-elles.
Certes le plus controversé de ces changements : dans la version originale, Han Solo a tiré Greedo le premier. En fait, il est le seul à avoir tiré.
Mais Lucas trouvait que la scène originale laissait l’impression que Han était trop méchant à son goût. Afin de corriger cette perception, il a transformé celle-ci en situation d’autodéfense – éliminant du même souffle la référence au film A Fistful of Dollars.
Plutôt ironique de voir Lucas, celui-là même qui est parti en croisade avec son ami Steven Spielberg contre la colorisation cinématographique en 19881, s’obstiner à vouloir modifier ses créations passées et refuser à quiconque de détenir une copie de la version originale de la trilogie.
Un nouvel espoir
Heureusement, tout n’est pas perdu. Des fans de la saga sur Internet se sont donné le mandat de restaurer la première trilogie à son état original, tout en préservant autant que possible la haute définition offerte par la version Blu-ray lancée en 2011. Ils surnomment le fruit de leur travail The Despecialized Edition, ou l’édition déspécialisée.
L’un d’entre eux, répondant au pseudonyme de Harmy, a obtenu la collaboration des autres afin de reproduire une édition ultime. Tel que le démontre la vidéo ci-jointe, il s’agit ni plus ni moins d’un travail de moine consistant à récolter des éléments provenant d’une quantité astronomique de sources diverses, puis de les restituer afin d’en faire une version uniforme et cohérente visuellement.
Difficile de comprendre à première vue ce qui motive Harmy, sachant qu’il n’était pas né lorsque Star Wars a été pour la première fois projeté au grand écran. Le tchèque de 25 ans a vu les films pour la première fois en version VHS lorsqu’il était gamin. Même que lorsque l’édition spéciale est apparue d’abord au cinéma en 1997, il a aimé ce qu’il a vu.
«Regardez ce film génial qui a été produit dans les années 70», dit Harmy lorsqu’il présente sa version. «Je veux montrer ça aux gens. Je voulais montrer ça à mon frère. Il n’avait que 3 ans quand j’ai commencé à travailler sur ce projet, et je lui ai montré lorsqu’il avait 5 ans et il a adoré.»
Mais plus Harmy s’est intéressé à la saga – soulignons qu’il a rédigé une thèse sur l’impact culturel du premier film à l’université – plus son désir de voir l’édition originale a grandi. Si bien qu’aujourd’hui, il en est à la version 2.5 de son édition restaurée, dont le travail a débuté il y a 4 ans.
Pour Harmy, le projet consiste à pouvoir montrer à ceux qui n’ont jamais vu la trilogie originale ce dont avait l’air les films à leurs sorties. «Regardez ce film génial qui a été produit dans les années 70», dit-il lorsqu’il présente sa version de La Guerre des Étoiles.
«Je veux montrer ça aux gens. Je voulais montrer ça à mon frère. Il n’avait que 3 ans quand j’ai commencé à travailler sur ce projet, et je lui ai montré lorsqu’il avait 5 ans et il a adoré», a raconté Harmy à The Atlantic.
L’empire contre-attaque
Pour sa part, Lucas n’est guère impressionné par ce genre d’initiatives. Lors du lancement d’une autre édition spéciale de la trilogie en 2004, il a affirmé qu’il n’avait peu de sympathie pour les fans qui vénèrent le film de 1977.
«C’est le film tel que je voulais qu’il soit, et je suis désolé si vous avez vu une version à demi complétée et que vous êtes tombé en amour avec elle», a-t-il déclaré à The Associated Press. «Mais je veux qu’il soit la façon dont je veux qu’il soit.»
Aussi froide que cette réponse puisse paraître toutefois, Lucas ne semble pas totalement dépourvu d’autodérision sur le sujet. Par exemple, sur le plateau de tournage du film Indiana Jones and the Kingdom of the Crystal Skull en 2007, il a porté un t-shirt avec comme mention «Han Shot First», comme s’il protestait contre le controversé changement qu’il a lui-même apporté à la fameuse scène du premier film.
Bien que le premier film fût sélectionné par la National Film Registry lors de sa fondation en 1989 afin de préserver son importance culturelle, historique et esthétique dans le patrimoine cinématographique américain, l’organisme fédéral n’a toujours aucune copie du film de 1977 dans son répertoire. Lorsqu’on demande à Lucasfilm de fournir ledit film, l’entreprise aurait apparemment préféré remettre une copie de l’édition spéciale.
La seule entité extérieure à Lucasfilm à détenir une copie du film de 1977 est la Biblothèque du Congrès américain, où une bobine du long métrage a été déposée lors de sa sortie pour protéger son contenu contre toute atteinte au droit d’auteur. Seulement, elle n’est pas autorisée à transmettre sa version – même à l’intérieur de la machine gouvernementale – sans l’approbation de Lucas.
Selon le témoignage d’une source familière avec le dossier recueillie par le site Save Star Wars, un contrat entre George Lucas et la 20th Century Fox stipulerait que toute copie de l’édition originale de la trilogie doit être «pourchassée et détruite». Nous ignorons cependant si cette clause a été transférée lors du rachat de Lucasfilm par Disney en 2012.
L’objectif de Lucas est clair. Il souhaite que seule l’édition spéciale de sa trilogie lui survive.
«Il n’y en aura qu’une seule», a déclaré Lucas à propos de la trilogie originale. «Et ce ne sera pas ce que j’appellerais le montage brouillon, ce sera le montage final. L’autre sera une sorte d’artefact intéressant que les gens regarderont en se disant qu’il existait une version antérieure.»
Lors d’un entretien avec le magazine American Cinematographer, le réalisateur a tenu à mettre les choses au clair par rapport à ce qu’il considère la version définitive de Star Wars.
«Il n’y en aura qu’une seule», a déclaré Lucas à l’époque. «Et ce ne sera pas ce que j’appellerais le montage brouillon, ce sera le montage final. L’autre sera une sorte d’artefact intéressant que les gens regarderont en se disant qu’il existait une version antérieure. La même chose se produit avec des pièces de théâtre et les premières éditions de romans. Essentiellement, les films ne sont jamais terminés, ils sont abandonnés.»
«Donc, ce qui devient important selon moi est ce à quoi la version DVD va ressembler [NDLR : l’entrevue a été réalisée avant l’époque de la haute définition et des disques Blu-ray], parce que c’est ce dont tout le monde se souviendra. Les autres versions vont disparaître. Même s’il existe 35 millions de vidéocassettes de Star Wars sur la planète, ces copies ne vont pas survivre plus de 30 ou 40 ans. Dans 100 ans, la seule version du film que tout le monde connaîtra sera la version DVD [de l’édition spéciale], et vous serez en mesure de la projeter sur un écran de 20 ou 40 pieds avec une qualité parfaite. Je crois que c’est la prérogative du réalisateur, et non celle du studio, de réinventer un film.»
Le retour du Jedi
Le réalisateur a en quelque sorte abdiqué en 2006, en incluant les versions des films non modifiés comme matériel supplémentaire à un coffret DVD de la trilogie. Mais les fans ont bien été avertis à l’époque que l’offre était pour une durée limitée (un peu moins de 4 mois). Soulignons que la qualité de cette version est plutôt restreinte : non seulement la définition DVD est nettement inférieure à ce qui se vend aujourd’hui, mais l’image des trois films a été réduite au format letterbox (les fameuses bandes noires sont intégrées à celle-ci), réduisant davantage la définition affichée à l’écran.
Bien que l’initiative de Harmy soulève des questions légales par rapport au droit d’auteur, celui-ci ne croit pas que son travail nuit aux ventes de la saga. Selon lui, 99% de ceux qui téléchargent l’édition déspécialisée ont déjà acheté Star Wars au moins une bonne dizaine de fois dans leur vie.
Lorsque Disney s’est porté acquéreur de Lucasfilm en 2012, les rumeurs de la sortie d’une version non retouchée remasterisée de la trilogie originale se sont ravivées.
«Maintenant que la propriété intellectuelle est détenue par Disney, j’espère vraiment qu’ils libéreront les versions originales en édition remasterisée pour que je puisse apprécier Star Wars tel qu’il se doit», conclut Harmy. «Mais ce jour risque de ne jamais arriver. En attendant, les fans vont continuer de chasser les copies originales du film afin de recréer la magie de l’œuvre de 1977.»
Si vous êtes curieux de connaître l’ensemble des changements apportés à la saga Star Wars au fil des années, nous vous invitons à consulter la page Wikipédia dédiée au sujet.
- Dans son discours, George Lucas se prononçait spécifiquement contre les changements apportés aux œuvres cinématographiques sans le consentement de leurs ayants droit (voire leurs auteurs). Dans le cas de Star Wars, Lucas a toujours préservé la propriété intellectuelle de sa création, ce qui justifie à ses yeux son droit de modifier ses films comme bon lui semble.