En ce moment, dans le petit monde de la baladodiffusion, c’est le monde à l’envers.
Vous le savez, j’aime le podcasting. J’en consomme à un rythme malsain. L’un de mes rares regrets depuis que j’ai commencé des études de doctorat, c’est que je n’ai plus le temps de contribuer à celui de L’Épée Légendaire. Je m’ennuie infiniment plus de mon temps derrière le micro de la défunte Analyse des Geeks que des journées passées devant les caméras de la télévision. Et s’il faut se fier aux réactions que j’ai reçues les dernières fois que j’ai parlé de balado ici, vous aussi, vous aimez ça.
C’est pourquoi je suis aussi perplexe envers les nouvelles de la dernière semaine. Parce que là où ça a l’habitude d’aller bien, ça va mal, et vice versa. Autrement dit, dans le petit monde de la baladodiffusion, c’est le monde à l’envers.
Les bonnes nouvelles en premier
Il y a quelques jours, Les Mystérieux Étonnants1, qui produisent une émission hebdomadaire consacrée à la bande dessinée et à la culture pop depuis plus de 10 ans, ont lancé une campagne de sociofinancement pour se construire leur propre studio. Histoire de se libérer des contraintes associées au fait de diffuser à partir des locaux de la radio-web de l’UQAM et de pouvoir produire autant de contenu qu’ils le désirent, quand ils le veulent, de la longueur qui leur convient, avec toute la qualité d’infrastructure requise.
Au moment d’écrire ces lignes, ils ont recueilli plus de 6 000$ en sept jours. Ce qui, je l’avoue, me flabbergaste. Et pas seulement à coup de petit change : il y a pas mal de contributions costaudes dans le lot.
Bien sûr, on est encore loin du jour où un nombre significatif de baladodiffuseurs pourront vivre de leur travail au Québec; il suffit de jeter un coup d’œil aux malingres Patreons des quelques podcasts québécois qui se sont lancés dans l’aventure du sociofinancement pour s’en convaincre. Et le projet des Mystérieux en est un d’infrastructure, moins «controversé» dans la communauté des auditeurs que le financement du contenu lui-même.
Mais c’est déjà ça de pris. Peut-être la culture est-elle en train de changer, pas à pas. Et si la communauté grandit, grâce à de belles initiatives comme la nouvelle génération de RZO, qui sait ce qui nous attend?
Mesdames et messieurs, les nouvelles moches
Mais pendant ce temps-là, au sud de la frontière, la radio publique NPR vient d’interdire à ses stations de faire la promotion de sa propre application de baladodiffusion.
Pire, il n’est même plus question d’encourager les auditeurs de NPR à télécharger les podcasts produits par NPR sur les ondes des stations de NPR. Tout au plus les animateurs auront-ils le droit de mentionner l’existence des balados par la bande, s’ils invitent le producteur d’un podcast à commenter l’actualité, par exemple. Autrement, il faut faire comme si le podcasting n’existait plus. Fini. Be-bye.
Les administrateurs de NPR sont des directeurs de stations de radio, qui ont peur que leurs propres revenus locaux disparaissent au profit d’une nébuleuse nationale si les auditeurs arrêtent d’écouter la radio pour se tourner vers les balados. Ils veulent que le podcasting marche, mais pas trop, et pas trop vite.
Tout ça, alors que Serial, le succès-monstre du podcasting américain des dernières années, est lui-même une production de la radio publique et que c’est en bonne partie grâce aux revenus du podcasting que celle-ci a réussi à se rentabiliser pour la première fois depuis des lustres.
Incompréhensible? Pas tant que ça. Les administrateurs de NPR sont des directeurs de stations de radio, qui ont peur que leurs propres revenus locaux – encore majoritaires, et liés à des campagnes de financement auprès du public et de commanditaires – disparaissent au profit d’une nébuleuse nationale si les auditeurs arrêtent d’écouter la radio pour se tourner vers les balados. Ils veulent que le podcasting marche, mais pas trop, et pas trop vite.
N’empêche que même si on peut comprendre les motivations de ces directeurs de stations de radio, on ne peut qu’y voir un (autre) combat d’arrière-garde un brin pathétique et massivement contre-productif comme on en voit trop souvent de la part des dirigeants des vieux médias.
Et de tous ces combats d’arrière-garde, celui-ci pourrait bien être le plus futile. Parce que d’habitude, ceux qui résistent au changement ont au moins l’excuse de le faire parce qu’ils n’ont pas trouvé d’autre solution pour rester en vie. Tandis que NPR semble avoir décidé d’assommer sa jeune poulette aux œufs d’or, de peur que le reste du poulailler n’arrête de pondre. Genre.
Pas très visionnaire, comme stratégie. Surtout que NPR aurait intérêt à rajeunir son public, du moins s’il faut en croire les blagues incessantes sur le sujet que l’on peut entendre à Wait! Wait! Don’t tell me!, le quiz humoristique sur l’actualité de… NPR.
- J’ai été invité une fois aux Mystérieux, je suis un fan de leur émission, et Benoît Mercier est un pote depuis plusieurs années. Je ne crois pas surprendre qui que ce soit avec ces «révélations», mais dans l’intérêt de la transparence je préférais ne pas prendre de risques.