Mesures fiscales et extension de la protection de droit d’auteur

Le budget fédéral déposé par le Parti conservateur en avril 2015 a suscité son lot de critiques de la part des observateurs de la scène politique, qui lui reprochaient notamment de faire beaucoup de gymnastique pour atteindre l’équilibre budgétaire, d’avoir une saveur électoraliste et d’inclure certaines mesures ayant très peu d’incidences sur le budget de l’État.

En effet, quelque part parmi les 600 pages du budget 2015, se trouve une proposition ayant pour objet de modifier la Loi sur le droit d’auteur afin que la durée de la protection accordée aux prestations et aux enregistrements sonores soit prolongée de 50 à 70 ans suivant leur date de lancement.

Évidemment, cette mesure ne fait pas l’unanimité auprès des militants pour le droit des consommateurs et des libertaires du droit d’auteur, qui y voient la consécration d’un agenda corporatiste visant à favoriser les grandes entreprises au détriment des consommateurs.

Laissons Mickey Mouse en dehors de ça

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Lorsqu’il est question de durée du droit d’auteur, il est tentant de faire de parallèle avec le Copyright Term Extension Act voté par le Congrès américain en 1998. Cette loi, qu’on appelle affectueusement le «Mickey Mouse Protection Act» en raison du soutien fourni par Walt Disney en sa faveur, avait pour objet d’étendre la durée du droit d’auteur de 50 à 70 ans après la mort de l’auteur d’une œuvre. Dans le cas des œuvres collectives, la protection était alors étendue à 120 ans après leur création ou à 95 ans après leur première publication.

Tout comme mon collègue François Dominic Laramée, je ne suis pas très chaud à l’idée d’étendre la durée de la protection sur une œuvre après la mort de son auteur.

Je crois en effet que le droit d’auteur doit servir à encourager la création, en permettant aux auteurs de vivre de leur art. Je n’ai rien contre le fait de permettre aux héritiers d’en profiter également, mais lorsqu’on étend la protection à un siècle après la mort de l’auteur, ça commence à être long!

Or dans le cas présent, la situation est légèrement différente puisque la protection accordée aux prestations et aux enregistrements sonores est fort différente de celle accordée aux œuvres littéraires ou artistiques.

Deux poids, deux mesures

Au Canada, la Loi sur le droit d’auteur accorde une protection de 50 ans, suivant la mort de l’auteur, pour la plupart des œuvres protégées. Toutefois, ce ne sont pas toutes les œuvres qui peuvent bénéficier d’une protection aussi étendue. Par exemple, les prestations (représentations ou spectacles) et les enregistrements sonores ne sont protégés que 50 ans après la date de leur première fixation (sur un disque, par exemple).

Les hipsters parmi vous reconnaîtront ce que les plus jeunes ignorent : ceci est une table tournante.
Les hipsters parmi vous reconnaîtront ce que les plus jeunes ignorent : ceci est une table tournante.

Ainsi, certains artistes peuvent voir leurs enregistrements entrer dans le domaine public alors qu’ils sont encore en vie. C’est notamment le cas de Leonard Cohen, dont certains enregistrements effectués dans les années 60 sont sur le point de perdre toute protection de droit d’auteur.

Il faut souligner que cette extension proposée dans le budget 2015 ne touche pas les chansons des artistes, mais plutôt leurs enregistrements.

À cet égard, la législation canadienne est donc mal adaptée aux artistes vieillissants, qui devraient pourtant pouvoir profiter du fruit de leur travail pendant toute leur vie.

Évidemment, il faut souligner que cette extension proposée dans le budget 2015 ne touche pas les chansons des artistes, mais plutôt leurs enregistrements. En d’autres mots, ce qui est concerné, c’est le droit de recevoir des redevances sur la vente d’albums et non sur la chanson elle-même.

Dans un récent billet sur son blogue, l’avocat Michæl Geist avançait d’ailleurs que cette mesure était une conséquence directe du lobbying effectué par l’industrie de la musique auprès des élus canadiens. Il affirmait également qu’une telle extension du droit d’auteur ne bénéficierait pas aux artistes, mais plutôt aux entreprises qui détiennent les droits sur leurs enregistrements.

Or un tel argument élude complètement le fait que les artistes touchent des redevances sur la vente de leurs albums (même si celles-ci ne sont pas toujours très élevées). L’importance de ces redevances pour un artiste sera d’autant plus significative si celui-ci n’est pas l’auteur de la chanson. C’est notamment le cas de Céline Dion, qui est l’interprète et non l’auteure de la plupart de son catalogue.

L’extension de la durée du droit d’auteur sur l’enregistrement pourrait donc avoir un impact non négligeable sur la santé financière des artistes interprètes.

Il faut également rappeler que les redevances dues sur les ventes d’albums profitent non seulement aux auteurs des chansons, mais aussi aux musiciens ayant contribué à la réalisation de l’enregistrement. Ce sont d’ailleurs ces artisans qui récoltent la plus petite part des redevances et qui ont le plus à perdre lorsqu’un album fait son entrée dans le domaine public.

La fin d’une solitude

L’extension de la protection accordée aux prestations et aux enregistrements sonores permettra aussi au Canada d’harmoniser sa législation à celle de 60 autres pays, dont plusieurs sont des partenaires commerciaux importants tels que les États-Unis et les pays membres de l’Union européenne.

Quatre garçons dans le vent, masqués (Image : James Jardine).
Quatre garçons dans le vent, masqués (Image : James Jardine).

Cette harmonisation permettra aux artistes canadiens de continuer de réclamer des royautés dans ces différents pays, dont certains ont choisi de limiter cette protection aux citoyens de pays ayant adopté la même législation.

Il ne s’agit donc pas simplement d’une capitulation du gouvernement fédéral devant les intérêts de gouvernements étrangers; mais plutôt d’une mesure permettant de placer les artistes canadiens sur un pied d’égalité avec leurs homologues à travers le monde.

L’intérêt public

Lorsqu’on évoque l’idée de prolonger la durée de la protection accordée aux œuvres, la question de l’équilibre entre les intérêts de l’auteur et ceux du public revient inévitablement sur le tapis. Or, il faut rappeler que la Loi sur le droit d’auteur a pour objectif de favoriser la création d’œuvres par les Canadiens en permettant que les auteurs soient rémunérés pour leur travail.

Si les artistes ne touchent qu’un faible pourcentage des redevances totales sur la vente d’un album, il faut toutefois garder à l’esprit que les revenus générés par les maisons de disques servent également à financer la création de nouveaux albums par des artistes émergents.

On peut toutefois déplorer que le gouvernement ait caché cette mesure au beau milieu d’un budget de 600 pages, comme s’il avait souhaité la faire passer en douce.

Ultimement, l’extension de la protection de droit d’auteur sur les prestations et les enregistrements sonores est donc bénéfique à la fois pour l’auteur et les artisans ayant travaillé sur l’album, mais également pour l’ensemble de l’industrie de la musique.

On peut toutefois déplorer que le gouvernement ait caché cette mesure au beau milieu d’un budget de 600 pages, comme s’il avait souhaité la faire passer en douce.

Un peu plus de transparence aurait probablement contribué à mieux faire accepter cette proposition par l’opinion publique.

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