Les Canadiens se plaignent souvent de leur accès Internet. Trop cher. Trop lent. Soumis à des limites de bande passante que les fournisseurs tentent de justifier par des explications douteuses. Pas assez de concurrence. Trop de restrictions. Trop de surveillance de la part d’agences d’espionnage gouvernementales qui auraient des choses bien plus utiles à faire dans la vie.
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Et si tout ça est vrai à divers degrés, la situation est encore pire dans certaines régions du globe où l’on rêve de l’équivalent d’un accès téléphonique 56 kbit/s qui fonctionnerait plus d’une heure par jour, sans parler de celles où une soirée dans un café Internet peut coûter une semaine de salaire.
Heureusement, l’Âge des ténèbres de l’Internet mondial arrive peut-être à sa fin.
Peut-être pas en matière de surveillance (on aura malheureusement l’occasion d’y revenir), mais sous bien d’autres aspects, on voit poindre une véritable révolution à l’horizon. Et les fournisseurs de contenu devraient en prendre bonne note.
Vous avez dit haute vitesse?
Aux États-Unis, la Federal Communications Commission (l’équivalent du CRTC) vient de réviser la définition de la haute vitesse. Dorénavant, pour qu’un accès Internet soit considéré rapide chez nos voisins du sud, il devra soutenir des vitesses de transmission de 25 Mbit/s en aval et de 3 Mbit/s en amont.
Jusque-là, les vitesses qu’il fallait atteindre étaient respectivement de 4 et de 1 Mbit/s, ce qui signifie qu’un fournisseur pouvait vendre un service «haute vitesse» qui n’était pas assez puissant pour livrer un flux vidéo en HD. De quoi faire sacrer les abonnés – surtout ceux qui sont aux prises avec un seul fournisseur dans leur région.
Mais à 25 Mbit/s, on commence à parler d’un service pas piqué des vers. Par exemple : un film HD sur Netflix dans le salon pour Papa et Maman, des vidéos de Crash Course sur YouTube dans la chambre de Junior, et Pandora toute la soirée dans celle de Juniorette, sans que l’un n’empiète jamais sur la qualité de l’autre. Ce qui, pour le président de la FCC, correspond à arrêter de demander aux membres d’une famille d’utiliser de l’électricité un à la fois. Le CRTC suivra-t-il la parade? Difficile à dire, mais avec certaines de ses décisions récentes ayant été étrangement proconsommateur, on ne peut pas l’exclure d’office.
Évidemment, certains fournisseurs d’accès américains hurlent à la mort, mais ils n’auront pas le choix de se plier à la décision. Or, celle-ci donnera un argument de plus aux coupeurs de cordons. Les réseaux de télévision qui ne diffusent pas déjà tout leur contenu sur Internet, de préférence à la demande, feraient donc mieux de réviser leur infrastructure technologique et leurs contrats avec leurs artistes pour se préparer à la tempête. De quoi faire passer Vince McMahon pour un visionnaire avec son WWE Network qui diffuse de la lutte sur le Web en tout temps.
Oui, j’ai bien utilisé «visionnaire» et «Vince McMahon» dans la même phrase. Je n’en reviens pas, moi non plus.
Jusqu’en orbite et même plus loin
J’ai déjà eu le malheur de devoir utiliser Internet par satellite, sur un paquebot en haute mer. Qualifier cette expérience de «pas cool» équivaut à dire qu’avaler une poignée de clous rouillés est «un peu piquant pour les papilles».
J’ai déjà eu le malheur de devoir utiliser Internet par satellite, sur un paquebot en haute mer. Qualifier cette expérience de «pas cool» équivaut à dire qu’avaler une poignée de clous rouillés est «un peu piquant pour les papilles».
Mais bientôt, il n’y aura peut-être plus de ces déserts d’Internet nulle part sur Terre. On connaît déjà le Project Loon de Google, qui vise à offrir aux régions mal servies un accès LTE basé sur une flotte de ballons. Plus ambitieux, OneWeb, qui appartient au gars qui a construit le premier réseau 3G panafricain, vise à envelopper la planète de 700 satellites dédiés à Internet haute vitesse, avec l’aide de Qualcomm et de Virgin Galactic. Elon Musk, qui n’est jamais à court d’idées, veut même étendre le concept de OneWeb jusqu’à la planète Mars et ainsi créer un Internet interplanétaire.
Tous ces projets vont coûter des milliards en infrastructures. Pour qu’ils soient rentables, ils ne pourront pas se contenter de rejoindre les régions les plus pauvres et les plus isolées de la planète : ils devront aussi venir cannibaliser les fournisseurs d’accès Internet des pays riches. Pour y parvenir, ils devront offrir de meilleurs services, de meilleurs prix, ou les deux – et les fournisseurs actuels devront suivre la parade pour préserver leurs parts de marché.
SpaceX ne vous livrera pas une connexion Internet par satellite de 100 Mbit/s demain, c’est certain. Mais d’ici quelques années, le marché de l’accès au cyberespace sera non plus régional, mais mondial. Votre câblodistributeur ne pourra plus vous charger les yeux de la tête pour un accès médiocre parce que vous avez le malheur d’habiter à plus de 30 km du centre-ville et qu’il est le seul fournisseur de votre village.
Conclusion
Peut-être que rien de tout cela ne se matérialisera. Peut-être que des lobbyistes de Comcast vont avoir la tête de Tom Wheeler et que la définition de «haute vitesse» redeviendra «ce qu’on a bien envie de vous donner, bande d’ingrats». Peut-être que deux ou trois explosions de fusées vont faire dérailler tous les plans de développement d’un accès Internet mondial par satellite, ou peut-être que des restrictions techniques en feront tout au plus un gros Iridium.
Mais je suis relativement optimiste. Dans ce cas-ci, les innovateurs n’ont besoin d’avoir raison qu’une seule fois. J’aime leurs chances.
Restera à trouver comment débarrasser ce nouvel Internet des trolls et des pirates. Ça, ça pourrait être plus compliqué.