Bien que la question puisse paraître incongrue pour certains, il est toujours aussi surprenant que désespérant de constater que des personnalités connues se sentent encore dans l’obligation de déclarer publiquement leur homosexualité afin d’encourager les inconnus à faire de même et influencer ainsi l’opinion publique parfois frileuse et réactionnaire.
Ce fut le cas pour le moins remarqué la semaine dernière du PDG d’Apple, Tim Cook.
On s’en fout, mais…
Entendez-moi bien, je ne défends pas toute autre façon de penser qui vise à ghettoïser et ostraciser les minorités, qu’elles soient visibles, audibles, religieuses ou sexuelles. Selon moi, un humain est un être avant d’être le représentant d’une quelconque faction ou minorité, quelle qu’elle soit.
Ma première réaction fut de me dire : «Sincèrement, on s’en fout», avant de me faire rabrouer copieusement sur les réseaux sociaux. J’ai alors sincèrement demandé si le fait qu’un PDG d’une grande entreprise comme Apple avait réellement besoin de faire une telle déclaration. On m’a répondu avec beaucoup de force que oui, c’était nécessaire, car ça permettait de démontrer à ceux qui le cachent encore (ou le vivent mal) qu’il est possible de réussir dans notre société tout en étant ouvertement homosexuel ou en faisant partie de la grande communauté LGBT.
Certes, nous vivons sur une planète où, il y a seulement quelques années encore, nous sommes entrés en contact pour la première fois avec des peuplades d’Amérique du Sud qui n’avaient encore jamais vu d’êtres humains extérieurs à leurs forêts. Difficile par conséquent de demander à toute la population terrestre d’être sur le même pied d’éveil au niveau des droits de l’homme et de penser comme nous, même si nous sommes intiment persuadés que nous éclairons le monde de notre sagesse bienfaisante et égalitariste.
Entendez-moi bien, je ne défends pas les penseurs de la vieille école ou toute autre façon de penser qui vise à ghettoïser et ostraciser les minorités, qu’elles soient visibles, audibles, religieuses ou sexuelles. Selon moi, un humain est un être avant d’être le représentant d’une quelconque faction ou minorité, quelle qu’elle soit. L’égalitarisme, c’est justement arrêter de s’enfermer dans des cases qui donneraient à quiconque préséance sur les autres et surtout un moyen de les comparer.
Il y a des obtus partout
Deux jours après l’annonce de Tim Cook, un élu local russe – à l’origine d’une loi controversée pour lutter contre la soi-disant «propagande» homosexuelle – a demandé l’interdiction d’entrée en Russie du patron d’Apple. Selon Vitali Milonov, élu du parlement de Saint-Pétersbourg pour le parti au pouvoir Russie Unie, la déclaration de Cook «est une action politique en vue de populariser l’homosexualité». Malgré tout le bien que la sortie du placard de Cook a donc pu faire à certains, elle a éveillé des pulsions rétrogrades latentes chez d’autres.
Effectivement, bien que nous soyons pour la plupart convaincus que l’homosexualité n’est pas une maladie ou une calamité, force est de constater que ce n’est (de loin) pas le cas de tous. Mais cette technique est-elle la bonne?
Deux poids, deux mesures?
C’est un peu comme si certains patrons de grandes compagnies se déclaraient musulmans afin d’arrêter les amalgames douteux que font certaines personnes et médias en discriminant ceux qui appartiennent à la «soi-disant» religion la plus violente de la planète. Le résultat aiderait-il foncièrement la cause là où elle le devrait, c’est-à-dire ailleurs que dans les pays musulmans?
En effet, la plupart des pays où l’homosexualité est légalement interdite – voire punie de mort – sont géographiquement bien loin de nous. La déclaration de Tim Cook a-t-elle eu un quelconque effet dans les sociétés d’Afrique ou du Moyen-Orient où, malheureusement, l’homosexualité est toujours réprimée? Permettez-moi d’en douter grandement.
Pour certaines personnes partout à travers le monde, prêcher constamment pour telle ou telle façon de penser revient à renier la leur et donc à créer une force contraire au moins égale à celle qui est générée par ces mouvements de soutien. Est-ce vraiment l’effet souhaité? C’est un peu comme de présenter durant 72 heures non-stop dans les médias (au nom de la sacro-sainte information) des exclus sociaux ayant pété un plomb comme des terroristes de longue date. La seule chose que cette exercice risque de générer, c’est une peur inutile et une série de copycat en manque d’inspiration.
Une déclaration à la mode?
Il est bien gentil de vouloir montrer à ceux qui subissent de la discrimination au quotidien que l’on peut s’en sortir et réussir dans la vie en étant gai. Mais c’est plutôt facile de le faire lorsqu’on est à la tête d’une entreprise de haute technologie située dans un pays développé où se trouve l’une des capitales mondiales de la communauté LGBT (San Francisco).
Je trouve toujours navrant de voir qu’être PDG semble être l’une des seules façons de montrer que l’on a du succès. Par exemple, le rugbyman Ben Cohen, bien qu’il aime se mettre de l’avant, a fondé un organisme qui lutte contre le harcèlement envers la communauté LGBT. À noter ici qu’il n’a pas que fait un coming out; il a voulu travailler pour la cause. Si Tim Cook avait été à la tête d’une entreprise au Moyen-Orient, je doute qu’il ait eu le courage humain et économique de faire la même chose.
Ce qui me gêne le plus de cette couverture médiatique hallucinante de cette nouvelle, c’est qu’elle n’aura probablement aucune retombée en dehors des sacro-saints biens penseurs du monde occidental. Le jour où Tim Cook ne voudra plus s’approvisionner en métaux rares dans tel ou tel pays d’Afrique parce que l’homosexualité est punie par la loi, on pourra réellement parler d’une action qui a une véritable portée. Il en va de même en ce qui concerne les conditions de travail déplorables dans lesquelles sont fabriqués les produits Apple en Chine, où l’homosexualité est là-bas aussi encore tabou et mal vue, bien que très récemment dépénalisée. Mais là, on commence à jouer avec les gros sous qui, comme les célèbres singes de la sagesse, ne voient rien, n’entendent rien et ne disent rien.
Tant qu’à faire, Apple aurait pu simplement lancer une campagne de sensibilisation aux problèmes rencontrés par les membres des communautés LGBT. Avec le talent qu’ils ont généralement pour faire de la pub, je suis certain qu’ils se seraient mieux positionnés que par le biais de cette nouvelle plutôt égocentrique.
Conclusion
«Je considère que j’aide la cause LGBT tous les jours en vivant comme tout le monde et en parlant de mon copain aussi simplement qu’un homme parle de sa femme.»
Histoire d’être certain que je n’étais pas aveuglé par mon besoin d’égalitarisme, plutôt que de plonger à deux pieds dans la défense communautariste, j’ai demandé à un ami gai de lire mon texte.
Sa réflexion de fond devrait inspirer ceux qui se battent pour la reconnaissance de leur statut comme étant égal à celui des autres : «Je considère que j’aide la cause LGBT tous les jours en vivant comme tout le monde et en parlant de mon copain aussi simplement qu’un homme parle de sa femme», m’a-t-il dit.
«Tranquillement et sûrement, l’ouverture d’esprit s’effectue partout. Ce qui est merveilleux, c’est que nous sommes capables de voir les changements au jour le jour, ce qui est immense. Rarement une société est capable de voir aussi rapidement ce genre de changements de mœurs.»
À son avis, la sortie du patron d’Apple est essentiellement un coup de pub et il ne trouve aucune pertinence à ladite action.
Alors, après les acteurs, chanteurs, artistes et autres sportifs, c’est donc au tour des PDG de sortir du placard pour démontrer qu’être gai ne fait pas de vous un fou. Espérons que ces actions ne seront bientôt plus nécessaires et qu’elles deviendront choses du passé pour que l’on puisse enfin passer à autre chose. Car, au risque de déplaire à bien du monde, il y a de nombreux autres problèmes beaucoup plus urgents à régler sur notre planète si l’on veut continuer à aimer qui l’on veut, comme on le veut, et ce pour longtemps.