On ne connaît pas encore exactement le résultat des élections de mi-mandat qui ont eu lieu la semaine dernière, aux États-Unis – le «s’quatre novembre au soir», pour être précis. Chaque État étant libre de choisir ses propres règles électorales, quelques sièges au Sénat restent notamment à pourvoir, que ce soit parce que des milliers de bulletins de vote envoyés par la poste n’ont pas encore été dépouillés (en Alaska) ou parce qu’un deuxième tour de scrutin s’avère nécessaire pour établir une majorité claire (en Louisiane).
Qu’est-ce que cela signifie pour les questions à caractère scientifique et technologique? Rien de bon, c’est certain, mais peut-être rien de trop mauvais non plus.
Chose certaine : le prochain Congrès, qui entrera en fonction en janvier prochain, sera dominé par la droite républicaine tant à la Chambre des représentants, où elle était déjà majoritaire depuis 4 ans, qu’au Sénat qui était jusqu’ici à majorité démocrate.
Qu’est-ce que cela signifie pour les questions à caractère scientifique et technologique qui intéressent les lecteurs de Branchez-vous? Rien de bon, c’est certain, mais peut-être rien de trop mauvais non plus. La division des pouvoirs entre la législature et l’exécutif, qui est dirigé par le président Barack Obama (issu du Parti démocrate), pourrait empêcher des mouvements trop brusques dans un sens ou dans l’autre. Voici pourquoi.
La neutralité du Net prise entre deux feux
Le premier champ de bataille risque d’être la question de la neutralité du réseau. L’administration Obama, qui n’avait pas fait preuve d’un grand leadership sur la question jusqu’ici, vient d’annoncer qu’elle demanderait au FCC (l’équivalent américain du CRTC) de traiter l’accès Internet comme un service public, d’empêcher les fournisseurs d’étrangler le trafic et d’adopter une réglementation sévère pour assurer la neutralité d’Internet.
La réaction de John Boehner, le président républicain de la Chambre des représentants, ne s’est pas fait attendre : selon lui, la neutralité du Net constitue une entrave à la création d’emplois dans le secteur privé qu’il se jure de combattre de toutes ses forces. En quoi permettre à un richissime câblodistributeur de favoriser ses propres services de télévision à la carte au détriment de ceux d’Amazon ou de Netflix serait-il susceptible de créer des emplois? Mystère auquel il est bien difficile d’imaginer une réponse.
Si j’étais cynique, je serais tenté d’insinuer que les gigantesques contributions des géants des télécommunications aux caisses électorales de nombreux élus républicains doivent avoir une modeste influence sur leur processus de raisonnement en la matière. Mais je suis d’un naturel optimiste et je m’en abstiendrai.
Toujours est-il que cette opposition idéologique risque d’empêcher quoi que ce soit de se produire. L’administration tentera de faire adopter ses règles, la Chambre tentera de les bloquer, et le tout ira moisir devant les tribunaux pendant des années. Un de ces jours, la Cour suprême des États-Unis devra trancher. Quand? Aucune idée, mais ne retenez pas votre souffle.
Changement de garde au Sénat
Tant et aussi longtemps que le filibuster reste en vigueur, le Sénat n’adoptera jamais la moindre mesure incapable d’attirer la faveur d’au moins une poignée de membres du parti d’opposition.
Le cas du Sénat est plus compliqué que celui de la Chambre, mais là non plus, il ne faut pas s’attendre à de grands changements.
Contrairement à celui du Canada, le Sénat des États-Unis est élu et il détient un pouvoir considérable. Le parti majoritaire doit cependant composer avec le filibuster, une procédure byzantine qui permet au parti minoritaire de retarder indéfiniment la tenue d’un vote sur une question controversée à moins que 60 sénateurs ne s’entendent pour forcer la clôture du débat. Or, il n’y a jamais 60 sénateurs d’un même parti : le scénario le plus optimiste pour les républicains dans le prochain Congrès, par exemple, leur accorderait 54 sièges.
Autrement dit : tant et aussi longtemps que cette obstruction parlementaire reste en vigueur, le Sénat n’adoptera jamais la moindre mesure incapable d’attirer la faveur d’au moins une poignée de membres du parti d’opposition. Et même si le leader de la nouvelle majorité républicaine, Mitch McConnell, devait pousser l’audace jusqu’à abroger le filibuster, il lui faudrait encore composer avec le droit de veto du président Obama, que le Sénat ne peut outrepasser qu’en votant un projet de loi à la majorité des deux tiers – ce qui n’arrivera probablement pas une seule fois au 21e siècle.
De l’intelligence des comités
Ceci dit, si mouvement il y a, ce sera sans doute dans une direction que la plupart des geeks trouveront bien bizarre. Parce qu’au Congrès américain, une bonne partie du travail se fait en comité sectoriel et que les importants postes de présidents de ces comités ont tendance à être attribués selon l’ancienneté.
Or, si avec l’âge vient souvent la sagesse, disons que promouvoir à l’ancienneté dans une organisation remplie d’avocats où presque personne n’entre jamais avant l’âge de 50 ans n’est pas forcément un gage de pensée d’avant-garde en matière de science et de technologie.
Prenez l’exemple du comité sur l’environnement et les travaux publics du Sénat. L’actuel leader des républicains sur le comité, David Vitter, a déjà annoncé qu’il quitterait son poste pour tenter de se faire élire au poste de gouverneur de la Louisiane en 2015. Son second, qui assumera presque assurément la présidence en janvier, est James Inhofe, un négationniste notoire en matière de changements climatiques qui a déjà comparé le GIEC à un tribunal soviétique, qui pense qu’il est impossible que l’être humain ait une influence sur la création divine, et qui vient tout juste d’être réélu pour un cinquième mandat à l’âge de 79 ans. Il serait étonnant qu’il change d’idée.
On se rappellera aussi de feu Ted Stevens, le folklorique ex-sénateur de l’Alaska qui était reconnu pour confondre «Internet» et «courriel» dans la vie de tous les jours, ce qui ne l’avait pas empêché, à 82 ans bien sonnés, de déposer en juin 2006 un projet de loi anti neutralité du Net qu’il avait défendu en qualifiant Internet de «pas un camion, mais un ensemble de tuyaux». Whatever that means, comme disent les Martiens.
Heureusement, tous les personnages importants du caucus républicain ne sont pas aussi réactionnaires. John Thune, qui devrait accéder à la présidence du comité des sciences, du commerce et des transports (drôle de mélange!) est un partisan du développement de certaines énergies renouvelables, tandis que la vedette montante de l’aile libertarienne du parti, Rand Paul, s’est souvent élevé contre les intrusions des services de renseignement dans la vie privée des internautes. Reste à voir quelle influence ils parviendront à exercer sur l’ensemble des politiques de leur parti.
À quoi faut-il donc s’attendre?
Le système politique américain fonctionne exactement comme prévu par les rédacteurs de la Constitution, c’est à dire mal et lentement.
Bref, le système politique américain fonctionne exactement comme prévu par les rédacteurs de la Constitution des États-Unis, c’est à dire mal et lentement. En gros, rien ne bouge jamais, sauf si un très vaste consensus s’établit au sein de la classe politique.
Or, ce consensus n’existe pas en matière de neutralité du réseau, de réglementation des gaz à effet de serre, de financement de la NASA, ou même de recherche sur les maladies infectieuses comme l’Ebola. Il n’y aura donc probablement rien d’important à signaler dans ces dossiers avant la prochaine élection présidentielle, qui aura lieu en 2016. Rien de bon, certainement, mais probablement rien de catastrophique non plus, les intérêts de l’un des deux camps bloquant immanquablement ceux de l’autre.
Sur quoi l’administration Obama et le Congrès républicain risquent-ils de pouvoir s’entendre, alors? Peut-être sur la construction de l’oléoduc Keystone XL, souhaitée par de nombreux élus démocrates d’États ruraux du centre du pays au grand dam des environnementalistes. Sans doute aussi sur le renforcement des mesures d’espionnage antiterroriste sur Internet et sur la lutte aux Edward Snowden et Glenn Greenwald de ce monde, qui sont vus comme des traîtres à la nation tant par l’administration Obama que par la majorité des républicains. Deux dossiers dans lesquels Stephen Harper risque d’applaudir cette belle entente à deux mains.
Ça vous rassure?