Tout allait pourtant si bien. Les fusées de SpaceX, qui avaient déjà livré plus de 70 cargaisons en orbite, avaient même récemment ajouté le panache à l’exploit depuis que leurs premiers étages avaient appris à redescendre tout doucement pour venir se poser sur Terre comme si de rien n’était.
Ce dernier tour de magie était presque devenu de la routine, tant et si bien qu’il a fallu que j’effectue une recherche sur Google pour me rappeler du nombre de fois où il avait été réalisé. (Cinq, selon Le Figaro.) À trois reprises, les sorciers de SpaceX ont même poussé l’audace jusqu’à amerrir debout sur des barges flottant au large des côtes floridiennes. Une opération qui exige une précision ahurissante.
Et puis voilà : ce qui semblait routinier ne l’était pas vraiment. Le 1er septembre, une anomalie s’est produite sur le pas de tir que SpaceX loue au Cap Canaveral pendant un test de prélancement de la mission AMOS-6, et la fusée a explosé devant les caméras.
Heureusement, comme c’est toujours le cas lors de ces procédures, personne n’était à proximité du pas de tir lors du test. Il n’y a donc pas eu de blessés. La charge utile est cependant une perte totale – et comble de malchance, celle-ci devait notamment servir à accélérer le déploiement d’Internet dans les régions du globe où il est encore difficile ou impossible d’y accéder.
Qu’est-ce qu’AMOS-6?
Le satellite AMOS-6 devait avoir une durée de vie de 15 ans, et représente une perte d’environ 85 millions de dollars US.
AMOS-6, qui a été détruit en même temps que sa fusée porteuse, est un satellite de communication – et là, suivez-moi bien parce que c’est un bel exemple du spaghetti corporatif qui résulte de la mondialisation – qui a été fabriqué par une compagnie israélienne et ses sous-traitants de partout dans le monde (y compris au Canada), qui appartient à une autre compagnie israélienne en cours d’acquisition par une compagnie chinoise, et dont une partie de la bande passante a été louée à parts égales par une compagnie américaine et une compagnie européenne.
La chaîne de responsabilité et de compensation suite à l’accident inclut aussi SpaceX, un assureur qui n’aura apparemment pas à payer parce que le satellite a été détruit avant son lancement, et l’État d’Israël – parce que le satellite devait aussi jouer un rôle militaire.
AMOS-6 devait avoir une durée de vie de 15 ans; la construction du satellite, son lancement, la construction des installations de contrôle au sol et la première année d’opération étaient censés coûter environ 85 millions de dollars US.
Et ce qui attire particulièrement notre attention, c’est que la compagnie américaine qui a loué une partie de la bande passante d’AMOS-6 est nulle autre que Facebook. AMOS-6 devait jouer un rôle important dans le déploiement du service Internet.org de Facebook en Afrique; en gros, ce service est censé offrir un accès gratuit et fiable à «une partie» d’Internet dans des régions du monde où l’infrastructure filaire ou cellulaire est déficiente.
Certes, tout le monde n’est pas exactement enchanté par le modèle d’affaires d’Internet.org, qui pose de sérieuses questions de protection de la vie privée et dénature le concept d’un Internet neutre et ouvert – l’Inde a même banni le service – mais là où il n’y a pas d’alternative, c’est tout de même mieux que rien.
Que s’est-il passé au juste?
La télémétrie indique que l’incident qui a provoqué l’explosion se serait produit lors du remplissage des réservoirs de carburant de la fusée Falcon 9; le réservoir d’oxygène liquide de l’étage supérieur de la fusée serait en cause. SpaceX ne peut pas en dire plus pour le moment, et compte tenu de la destruction totale du véhicule il faudra probablement se fier sur des données informatiques et sur les images filmées, plutôt que sur un examen des décombres, pour tenter de trouver la cause exacte de l’explosion.
Qu’est-ce qui a bien pu mal tourner dans ce cas-ci? Peut-être une étincelle produite par la friction entre deux composantes métalliques de la rampe de lancement. Peut-être un court-circuit. Peut-être un défaut de fabrication d’une des innombrables pièces de la fusée. Peut-être un quelconque événement fortuit auquel personne n’aura jamais pensé auparavant. Allez-donc savoir.
Ceci dit, il faut se rappeler qu’une fusée spatiale est une bombe. Littéralement. L’immense majorité de la masse d’une mission spatiale est composée de carburant hautement explosif; c’est justement la haute densité d’énergie contenue dans un (relativement) petit volume qui permet d’arracher la fusée à la puissante attraction gravitationnelle de la Terre et de la propulser en orbite. Si l’explosion du carburant est bien contrôlée et canalisée par les moteurs, la fusée s’envole. Sinon…
Les conséquences de l’accident
Si pour SpaceX, l’accident est sérieux sans être irrémédiable, du côté des propriétaires et opérateurs d’AMOS-6, les conséquences pourraient cependant être plus graves.
Pour SpaceX, l’accident est sérieux sans être irrémédiable. L’entreprise opère deux autres pas de tir et les clients qui engagent une entreprise pour lancer des satellites en orbite sont tout à fait conscients des risques. Il faudra bien examiner les données pour s’assurer que cela ne se reproduise plus, c’est tout.
Pour les propriétaires et opérateurs d’AMOS-6, les conséquences pourraient cependant être plus graves.
À l’exception des Cubesats conçus pour des missions de faible envergure, les satellites artificiels sont des objets à la fois immensément complexes et immensément artisanaux. Chaque composante doit être pensée et usinée pour offrir un maximum de fonctionnalité dans un minimum de volume et de masse, parce que chaque kilogramme additionnel lancé en orbite coûte des milliers de dollars et que même les fusées les plus puissantes ont des limites de capacité strictes. Même les satellites conçus pour des tâches bien établies, comme le GPS ou les communications télé-radio, sont rarement fabriqués à plus de quelques exemplaires à la fois; en cas de perte totale comme celle de la semaine dernière, il faut souvent compter des mois ou même des années pour répéter le processus – y compris l’interminable batterie de tests qui permet d’affirmer que l’assemblage sera en mesure de résister aux rigueurs du lancement et de remplir sa mission malgré une exposition prolongée aux conditions extrêmes de l’espace.
Dans le cas d’AMOS-6, le contrat initial de construction a été annoncé en novembre 2012 et l’entente avec Facebook a été conclue en 2015. Remplacer le satellite lui-même prendrait sans doute des années. Pour Internet.org, trouver une alternative ne sera pas beaucoup plus facile parce que les satellites de communication dont l’orbite leur permet de balayer les côtes de l’Afrique ne sont pas légion.
Bref, les conséquences de la petite étincelle qui a fait sauter la fusée de SpaceX la semaine dernière se faire sentir longtemps.